the exit ☼ saeuha 02

Il ne savait pas pourquoi il avait accepté cette invitation. Pourquoi il avait osé dire que ce serait un date. Pour blaguer, évidemment, mais au fond de lui, il se demandait s'il s'agissait d'une véritable blague. Parce que c'était la première fois depuis longtemps qu'il avait l'impression de chercher ce quelque chose au fond de lui qui brûlait. Parce que cela n'arrivait que rarement, voire jamais depuis qu'il avait tiré un trait sur les relations toxiques et pansement qui avaient parsemé sa vie. Alors pourquoi Saebyeog lui donnait ce sentiment de familiarité? De s'installer sans déranger dans une vie qu'il n'avait jusqu'alors jamais connu? Il y a dans leurs gestes et leurs paroles un air de déjà vu qui le dérange autant qu'il réchauffe la poitrine. C'est peut-être pour ça qu'il se sent pousser des ailes, Kazuha, lorsqu'il entre dans cette librairie après leur discussion, après une fin d'année pour le moins calme, de son côté.
Le sourire orne les lèvres, quand il croise le regard du fugi-ka.

Les pas s'emboîtent aussitôt vers le jeune homme qui, cette fois, ne se tenait pas derrière le comptoir. Et si Kazuha a involontairement replacé ses cheveux comme on le ferait face à son crush au lycée, personne n'a besoin de le savoir. Il se glisse à côté de lui avec un air rayonnant et amical. Il ne faudrait pas effrayer le plus jeune immédiatement. « Hi! I took, your invite, here I am. » Et le regard court sur le visage finalement ciselé de Saebyeog avant de reposer dans l'ombre de ses iris chaudes. Ca le perturbe, pendant une seconde. Il détourne le regard et tourne la tête pour sortir crayons et carnet à croquis. « I've taken everything I could use... Maybe even more than what I need. I'm not used to work in a public place and not at home. » Il a un petit rire. « So, where's this corner you talked to me about? »

Saebyeog avait le cœur frais et la météo aux heures de rosée, gorgés de quelques jours de vacances passés à embrasser ses proches, à courir autour de la table avec sa sœur, à étreindre ses parents, à enlacer Usagi. Le temps était passé trop vite, même s’il était heureux de revenir à la librairie et de reprendre son quotidien. L’année s’annonçait belle ; sans parvenir à déterminer pourquoi, il le sentait, au fond de l’âme. Il ne croyait pas si bien penser, pas si bien dire, même si tout pour le moment restait un mystère - surtout lui. Souriait aux clients, anciens comme nouveaux, les saluait et leur souhaitait une bonne nouvelle année, gravitant dans les allées comme s’il l’avait toujours fait, à son aise, comme à la maison. C’était sans doute pour ça qu’il n’avait jamais pensé à quitter la librairie, et sans doute pour ça qu’une fois diplômé il la rejoindrait à plein temps. Croise son regard parmi tous les autres, s’y accroche comme s’il l’avait toujours fait, naturellement ; et quand Kazuha s’approche, le sourire aux lèvres, celui de Saebyeog s’agrandit, content de le revoir. “Hi! I took, your invite, here I am.” Les prunelles s’étreignent pour une seconde mais le regard de Kazuha se détourne en même temps que le sien, comme si se regarder trop longtemps allait finir par leur embraser les paupières. “Hello, and Happy New Year! You did well, welcome.” Et il ne sait pas pourquoi les vœux ont ce goût quand il s’adresse à lui, pourquoi il a envie de le lui souhaiter encore et encore - peut-être jusqu’à la fin des temps, mais ça, il ne le sait pas encore.
“I've taken everything I could use... Maybe even more than what I need.” Il le regarde déballer ses ustensiles avec un sourire un peu amusé, laisse échapper un petit rire face à l’étendue de matériel ramené par Kazuha. “Yes, I can see that,” remarque-t-il gentiment, avant que Kazuha ne s’explique. “I'm not used to work in a public place and not at home. It’s okay, don’t worry. As long as you have everything you need.” Le ton est encore amusé, mais il ne veut pas non plus le gêner ou le pousser à repartir sitôt arrivé ; ce n’est pas grave, s’il a pris du matériel de dessin pour durer des années. Il restera plus longtemps. “So, where's this corner you talked to me about? Follow me.” Il pose la pile de livres qu'il tenait jusque-là sur le comptoir, les mains qui s’époussettent légèrement avant de se faufiler entre les allées, vérifiant une ou deux fois qu’il le suit, avant de parvenir au coin salon de thé de la librairie, où ont été installées quelques tables entourées de fauteuils confortables. “And welcome to our tearoom corner. Feel free to sit wherever you’d like.” Cette fois c’est à lui de le suivre alors que Kazuha s’installe, profitant de l’occasion pour lui proposer à boire ou bien à manger, en libraire-serveur attentionné. “Would you like to drink or eat something? We have hot or cold drinks and some savoury snacks or sweet cakes. Or we can order from elsewhere if you want something particular that we might not have.” Du doigt, il lui indique une carte magique au centre de la table, qui liste de manière un peu plus précise ce que la librairie propose. Et pendant que Kazuha réfléchit, Saebyeog détaille à nouveau son matériel de dessin, toujours ravi de voir de tels outils, d’autant plus s’ils sont différents des siens.

« Happy New Year. » Qu'il répond rapidement, comme si les mots le brûlaient. Parce qu'il ne veut pas paraître impoli. Aussi, peut-être, parce qu'il n'avait pas vraiment pensé à ça, en quelque sorte trop heureux d'aller directement s'installer et dessiner. Saebyeog à ses côtés. Et ça lui fait tout bizarre de se sentir si heureux pour quelque chose d'aussi trivial. D'aussi simple. Aux côtés d'un quasi inconnu. Et la bonté de Saebyeog déborde et ça remplit le cœur un peu trop. Il ne sait comment l'exprimer, mais ça contracte la poitrine et les sensations. C'est qu'il sont si réels et frais, l'un en face de l'autre. Et ça le fait sourire. Ca lui donne envie d'essayer absolument tous les trucs qu'il a amené pour être sûr de passer le plus de temps possible ici.

C'est le regard curieux qu'il l'observe déposer ses livres sans même y réfléchir à deux fois. Il a envie de l'interrompre, de lui dire qu'il peut tout de même finir son travail avant de s'occuper de lui, mais déjà le plus jeune disparaît entre quelques rayons et il se dépêche de le suivre. Et le lieu présenté est agréable. Plutôt grand sans trop l'être, très cosy et lumineux. Il peut observer quelques plantes avec un certain sourire, ses doigts venant frôler quelques feuilles réagissant automatiquement à la magie, s'intéressant à la poussière collée sur le bout de ses doigts à s'en soulever et suivre son mouvement. « It's very... Homy. I like it. » Il s'installe dans un fauteuil aux tons orangés et pose quelques unes de ses affaires sur la petite table face à lui. Dans la pile de papiers se tient les prémices de son nouvel ouvrage. Celui qui ne verra peut-être pas le jour parce que trop personnel. Et le regard se tourne vers Saebyeog. Il est tenté de le taquiner mais décide de commencer doucement et de ne pas l'agresser avec un 'ouais, j'aimerais bien te goûter' parce qu'il ne veut pas passer pour un vieux prédateur creepy. « Do you have some red fruits tea? And I'd be very happy to try your cakes! » Qu'il dit avec un sourire rayonnant, véritablement heureux, finalement, d'avoir pris contact avec lui. Il observe la carte présentée et en voyant un cake aux flocombes, il ne peut s'empêcher de vouloir y goûter, la fleur étant probablement son péché mignon (son arrière goût glacé laissait toujours sur sa langue un frisson de bonheur). Fleur de son île de naissance, celle qui avait servi à former les runes de ses doigts, elle avait toujours une signification particulière à ses yeux. « This one. » Qu'il pointe comme un enfant excité sur la carte. Et alors qu'il capte le regard de Saebyeog sur son matériel à dessin, son propre sourire résonne. « Something catched your eye? » Et si le ton est un peu flirty, il essaie de ne pas être trop obvious pour autant.

Il prenait particulièrement soin de ce petit coin de paradis, qui pour un instant devenait la terre d’accueil de voyageurs en perdition ou en recherche d’imagination, d’inspiration, d’un moment de calme dans un fauteuil confortable, avec une tasse de thé et une part de gâteau. Lui-même y passait du temps, lorsque la librairie était fermée ou même pendant ses jours de repos, parfois animé de l’envie de lire entouré de livres et entouré des autres, jamais bien loin de son travail - c’était ça, de faire de sa passion son métier. “It's very... Homy. I like it.” Le sourire s’étire et s’agrandit, ravi que l’endroit lui plaise autant qu’à lui. Attend patiemment qu’il s’installe, sans le presser ; on dirait qu’il n’y a plus qu’eux, que ses autres tâches ont disparu, comme les clients, que rien n’existe si ce n’est cette bulle qui les a réunis. “Do you have some red fruits tea? Of course, I’ll bring one to you. And I'd be very happy to try your cakes!” Kazuha étudie la carte mais si Saebyeog voit ses yeux la parcourir rapidement, il est étonné de les voir se relever aussi vite, alors qu’il était sur le point de lui ramener son thé. “This one.” Il se penche légèrement pour apercevoir le nom sur la carte, un cake aux flocombes. Il hoche la tête avec un sourire, amusé de l’excitation aperçue dans les prunelles de l’auteur. “Really good choice. You must have seen a lot of them, as they grow near your hometown, right?” C’est peut-être pour ça qu’il a l’air autant enjoué à l’idée de choisir ce gâteau, mais Saebyeog pose la question en marchant sur des œufs, n’a pas pu s’en empêcher mais ne voudrait pas paraître trop intrusif, trop groupie. Il faut dire que même un lecteur de passage saurait sans mal que Kazuha est ryū, il ne s’en cache pas. Il est peut-être resté un peu trop longtemps à observer son matériel de dessin, repéré par Kazuha, les joues qui rougissent quand il le lui fait remarquer, sans qu’il ne s’aperçoive du ton adopté. “Something catched your eye? I was just looking at your drawing ustensils, because I don’t use the same ones, I’m always interested to know what others use. I’ll, hm, bring back your tea and your cake.” Et alors qu'il s’éloigne un moment, il secoue un peu la tête comme pour se ramener à la réalité ; pourquoi faut-il qu’il s’embarrasse toujours devant lui ?
Finit par revenir le thé et le gâteau à la main, qu’il dépose sur la table avec un sourire. “There you go, I hope you’ll like it.” Les yeux se perdent un moment sur les papiers, sans qu’il n’ose en déchiffrer les écritures, trop poli pour lire des papiers qui ne lui appartiennent pas. “Do you already know what you want to draw?”

Quelque part, il ne sait pas pourquoi, ça lui fait un peu plaisir de savoir que Saebyeog le connaît. Même si ce n'est qu'au travers de ses écrits et récits, qu'au travers de descriptions des landes qui l'ont vu grandir et de ses fabulations sur des sujets trop divers. Parce qu'il lui demande avec tant d'honnêteté si les flocombes l'ont vu grandir et lui, ça le fait sourire tout grand. Plus naïvement, peut-être, que quelques secondes auparavant. Et étrangement, il ne trouve pas ça bizarre qu'il soit autant au courant de tout ce qui fait de lui le Kazuha d'aujourd'hui. Il n'avait peut-être pas une tonne de groupies à lui courir après, mais c'était parfois bien assez pour l'homme qui ne rêvait que de s'épanouir seul face au monde. « Yeah. It's in my skin, too. » Qu'il lui dévoile en écartant les doigts. Et là, sur son majeur, les runes se dessinent en encre bleutée, un peu grisée sur le bout, preuve de la poussière que la plante lui avait dévoré quelques secondes auparavant. Lorsqu'il baisse la main à nouveau, ce n'est que pour dévoiler un air bien heureux.

Les rougeurs vont bien au teint de Saebyeog. C'est ce qu'il se dit, avant de se surprendre de ses propres pensées, le visage se tournant abruptement vers ses propres feuilles en ne le regardant pas s'éloigner. Ce n'est qu'une fois la pâtisserie et le thé déposé devant lui et son nouvel ami remercié qu'il se permet de se relaxer un peu plus en s'enfonçant dans le dossier du fauteuil, prenant son carnet sur ses genoux. Il regarde un peu timidement le fugi-ka et demande : « Can I take my shoes off...? » Et une fois l'approbation, bien heureux, il ramène une jambe vers lui, calant l'autre sous ses fesses. Et si la position est désastreuse et promet un mal de dos abominable, il est bien trop habitué à travailler ainsi. Alors il lance un regard vers Saebyeog et ajoute avec un air solennel : « No comments about me becoming old and all broken because of how I sit. » Et il ricane un peu tout seul. C'est après ça qu'il se demande, en effet, ce qu'il va bien pouvoir dessiner. Et comme s'il avait soudainement un éclair de génie, un sourire digne de celui d'un félin se dessine sur son visage alors qu'il redresse le visage vers le jeune homme. « I'm used to draw landscapes... Maybe I should try and draw some humans, too? » Et alors, dans le fond de ses prunelles brille l'amusement et peut-être un peu de passion (de celle que l'on ne connaît pas vraiment, de celle naturelle qui relie les âmes sans raison autre que l'existence même de ce lien invisible). « What about me drawing your cute face? »

“Yeah. It's in my skin, too.” Le mot pourrait le surprendre, mais il y a bien des années que Saebyeog s’est habitué à son étrangeté, qu’il se cache pour mieux se protéger. Que sa peau transparente, masquée par celle de son meilleur ami, ne se dévoile qu’à une poignée d’élus, dans la méfiance et la peur de dévoiler un secret dangereux dont on n’a jamais su trop quoi faire. Il regarde l’encre se mouvoir sur la peau de Kazuha comme s’il observait une œuvre d’art en train de se créer, comme lorsqu’il observe sa peau disparaître sous celle de Mini, passant du calque au beige rosé. “It’s really beautiful,” complimente-t-il naturellement, à la fois pour la rune et pour le geste, les yeux qui glissent à nouveau vers les siens lorsque Kazuha finit par baisser la main. Et il ne comprend pas, ce qui le rend si gêné, ce qui semble le faire hésiter - ce qui colore ses joues comme s’il faisait face à un premier amour ou à une situation embarrassante. Il se concentre à défaut sur son travail pour s’ancrer dans la réalité, revient après un moment, dépose sur la table le thé et la part de gâteau. “Can I take my shoes off…? Of course, make yourself comfortable.” Kazuha s’exécute, se contorsionne et Saebyeog se demande s’il l’a bien entendu, parce qu’il a l’air d’être tout, sauf confortable. Mais l’écrivain le devance, devine ses pensées, l’air très sérieux mais qui ne le reste pas bien longtemps. “No comments about me becoming old and all broken because of how I sit.” Il voudrait aussitôt s’excuser, d’instinct, mais lève seulement les mains avec un sourire, en signe d’innocence malicieuse ; no comments, comme demandé. Il n’est pas du genre à aller contre les demandes, encore moins lorsqu’elles prennent des airs d’ordres. “I'm used to draw landscapes... Maybe I should try and draw some humans, too? Yeah, that would- What about me drawing your cute face?” Et comme toujours depuis le départ, Kazuha le prend au dépourvu, et s’il sent la météo changer au creux de son abdomen, il reste interdit un instant, surpris de l’adjectif, les joues pourpres et la bouche qui ne sait plus que balbutier. Mais avant qu’il puisse répondre, l’un de ses collègues, de l’autre côté de la pièce, l’apostrophe gentiment, l’obligeant à se retourner pour lui donner son attention. “Saebyeog, Usagi’s here for you.” Il hoche la tête, répond un “I’m coming”, avant de se retourner vers Kazuha, se penchant un peu pour excuser son départ. “I’m sorry, I have to go for a bit, I’ll be back.”
Et il ne sait pas, que Kazuha peut distinguer l’entrée de la librairie à travers l’un des trous de décoration du mur, lorsqu’il salue la petite amie qui est venue lui amener des cookies en déposant un baiser sur ses lèvres, les doigts qui caressent doucement sa joue, ravi de la voir, même pour un instant. Une fois Usagi partie, au bout d’une dizaine de minutes, il revient auprès de Kazuha, un sourire sur les lèvres, curieux de voir à quoi ressemblera son début de dessin. “So, how is the drawing going so far?”

Il a un sourire, Kazuha, en voyant la réaction de Saebyeog à son commentaire. Un sourire qui résonne victoire, qui témoigne de sa félicitée à le voir balbutier, rougir sous ses mots. C'est qu'étrangement, il a le cœur volatile qui n'a plus l'habitude des émois si jeunes, du flirt si aisé. Facile parce qu'il est léger, parce qu'il a la saveur de la nouveauté. La réaction de l'autre laisserait sous-entendre qu'il était rien qu'un peu réceptif à ses avances, à ses tentatives de le charmer. Peut-être que son sourire en coin et ses yeux brillants de malice aidaient à la situation. Peut-être pas. Ils se font pourtant interrompre, et Kazuha a l'impression que leur bulle éclate. Alors il reprend un crayon pour lui, en mordillant le bout et acquiesçant vaguement pour signifier à Saebyeog qu'il n'avait pas à s'inquiéter pour lui.

La curiosité est peut-être un vilain défaut, mais il ne peut s'empêcher de se pencher, pour voir qui était Usagi. Peut-être qu'il n'aurait pas dû. Ou au contraire, peut-être est-ce la meilleure chose qui lui soit arrivé aujourd'hui. Pour l'empêcher de s'embarrasser un peu plus, encore, en lui faisant quelques avances qui n'aboutiraient jamais. Parce que Saebyeog avait déjà quelqu'un. Parce qu'il venait d'embrasser sa petite amie qui avait un sourire charmant, une innocence douce. Des yeux pétillants. Et ça lui prend à la poitrine pour une raison qu'il ignore. Il le met sur le dos de la déception quand ça semble bien plus profond. Et il se casse le dos un peu plus, encore, quand il se penche pour griffonner le papier, dessinant avec un peu trop de précision la plante qui lui fait face. Parce qu'il la connaissait par cœur. Parce qu'il avait étudié ses pétales et ses bourgeons. Parce qu'il connaissait chacune de ses propriétés sur le bout des doigts. Parce qu'il fallait calmer le cœur erratique, le concentrer sur quelque chose d'autre et oublier sa gêne soudaine d'avoir dragué un gars déjà pris (de sentir la poitrine s'effondrer pour si peu). Le visage se redresse sur le sourire du fugi-ka, et il essaie de l'imiter. Un peu maladroit. Il lui tend son carnet et les doigts se frôlent dans l'échange. Il reprend ses mains pour lui, appuyant la joue sur son poing, soupir sur le bout des lèvres. Un peu tremblant, pour effacer tout sentiment précédent. « Not bad. I didn't had any living model, though. Don't move, I'll try with you. »

Il ne le sent pas vraiment, mais c’est vrai, leur bulle éclate au moment même où le prénom d’Usagi franchit les lèvres de son collègue. Met fin à ce on ne sait quoi dont Saebyeog n’a de toutes façons qu’à moitié conscience, trop gêné par la situation depuis leur rencontre pour aller au-delà de la gentillesse et la subtilité. Il n’y a rien d’évident, rien qui le pousse à arrêter, à faire comprendre à Kazuha que son cœur est pris ; le destin le fera pour lui, en l’espace d’un instant, à travers un vulgaire trou dans le mur et une visite impromptue de sa petite amie. Et que quand, Usagi partie, il revient finalement à la table, Kazuha semble avoir perdu son sourire, dans la concentration d’un dessin maîtrisé à la perfection. Il ne devine pas que l’artiste en a eu besoin pour retrouver le contrôle, s’est ancré dans ce qu’il savait pour ne pas laisser la déception le gagner. Saebyeog lui adresse un sourire mais celui de Kazuha est comme fané, hésitant, un peu fermé, sans qu’il ne comprenne pourquoi. Baisse les yeux vers le carnet tendu, les doigts qui frôlent les siens, suffisamment pour que les peaux se touchent ; la Poussière se montre silencieuse, mais les âmes sont sur le point de s’emballer, les deux mages dans l’ignorance de cette connexion qui les dépasse, pourtant conscients du naturel et de la facilité avec laquelle ils apprennent à se connaître. De cette vie qui n’aurait plus de sens sans l’autre, alors même qu’il y a quelques semaines, ils ne se connaissaient pas. “Not bad. I didn't had any living model, though. Don't move, I'll try with you.” Ses joues s’empourprent mais Saebyeog obéit, balbutiant un “Oh, hm, okay” avant de jeter un coup d’œil aux alentours pour voir si on a besoin de lui. La librairie est quasiment vide, à cette heure-ci, alors il s’assoit dans le fauteuil en face du sien, les doigts entremêlés, sûrement parce qu’il ne sait pas où les mettre, comme si ces mains pleines de doigts se mettaient à le gêner, comme si tout l’embarrassait. “How should I?” Kazuha a déjà commencé son dessin et à chaque regard qui croise le sien, à chaque fois qu’il relève les yeux pour observer son modèle, Saebyeog s’efforce de ne pas rougir un peu plus, se concentre sur son attitude pour prendre le moment au sérieux et faire passer la timidité.
Et ça dure une minute, peut-être deux, où seul le silence les accompagne, l’un dans son dessin et l’autre dans son attente. Mais peut-être que ça a rendu le destin jaloux, qu’il ne supportait pas de voir se reformer, presque comme avant, cette bulle qu’ils partageaient sans trop savoir ni pourquoi ni comment. Saebyeog ne s’en rend pas compte, mais en lui le rōnin se met à bouillir, comme s’il prenait conscience avec un temps de retard qu’il venait de se bousculer à son âme-sœur. Du sang se met à couler de son nez, et il lui faut quelques secondes pour froncer les sourcils et y porter le doigt avant de le reculer pour voir quelques gouttes pourpres. Mais Saebyeog n’a pas le temps de s’en préoccuper, parce que son cœur et ses poumons entrent soudainement dans la danse de ce malaise inexplicable, et le tempo s’accélère. Pris de palpitations, il regarde Kazuha sans comprendre ce qui lui arrive, les poumons qui s’arrêtent de fonctionner, les mains qui saisissent sa gorge comme s’il pouvait parvenir à faire rentrer de l’air. Mais pourtant il ne se sent pas vide, au contraire, la météo n’a ni queue ni tête, enchaîne les changements comme si elle ne savait plus quel temps choisir. L’impression que c’est la fin sans connaître le pourquoi, le dernier acte d’une pièce inconnue, démuni sous les yeux de Kazuha, sans savoir que ce n’est pas la fin mais tout l’inverse.
C’est le début, le début de la bousculade des âmes retrouvées, le début des mains qui feront tout pour ne plus se lâcher, même si ni Saebyeog ni Kazuha ne peuvent encore le verbaliser. C’est le début du don mais la fin n’est jamais bien loin, parce que c’est aussi son début, Saebyeog en proie à un malaise libérateur, le rōnin qui, enfin, peut se délester de vie et de Poussière, pour lui.

Kazuha hausse les épaules, un peu comme pour répondre comme tu veux lorsqu'il lui demande quelle position adopter. Il a la gorge trop sèche pour véritablement répondre. Il a la sensation que s'il ose ne serait-ce que donner une direction, il finirait par inévitablement mettre au dehors les émotions qui démangent le fond de la trachée. Et c'est la dernière chose dont il a besoin (envie). Parce qu'il ne sait d'où proviennent les bourgeons d'un tel sentiment. Parce qu'il ne connaît pas assez Saebyeog pour être jaloux de sa copine. Parce qu'il n'a, somme toute, pas du tout eu l'occasion de s'attacher trop fortement au garçon.
Alors pourquoi se sent-il si mal?
Pourquoi le voir agir avec Usagi avait créé un trouble dans le cœur, semblable à celui qu'un amant de longue date aurait ressenti en voyant l'amour de sa vie lui glisser sous les doigts encore une fois? Dans son passé, dans cette vie, il n'avait simplement jamais ressenti ça.

Mais c'est finalement le carmin qui coule sur les lèvres du modèle qui ramène Kazuha à la réalité, les yeux s'ouvrant tout grands et le cœur balbutiant à la réalisation. « What's happening? » Qu'il demande bêtement, sourcils haussés et panique sur le bord de la poitrine. Et il comprend vite que l'autre suffoque, qu'il s'accroche à sa vie sans savoir exactement d'où provient le mal. Et lui, oh, ça lui fait terriblement mal. Ca arrache la poitrine quand, soudainement, alors qu'il s'approche pour venir le cueillir de ses bras, la chaleur remplit tout son être de se coller au fugi-ka. Et alors que Saebyeog suffoque entre ses bras, sans qu'il ne sache véritablement quoi dire ni quoi faire, Kazuha sent la panique monter. Celle de le voir mourir entre ses bras, alors qu'il était supposément le premier à devoir partir. Quitter ce monde.
Et quand Saebyeog reprend une grande bouffée d'air, quand il a la sensation qu'enfin la crise se calme, le coeur de Kazuha, lui, bat la chamade sans savoir s'arrêter. Sous trop d'émotions. L'inquiétude, la peur, même, mais aussi, étrangement, la vivacité. Le soulagement de le voir reprendre un peu ses esprits prend le dessus sur sa confusion, alors qu'il laisse un doigt glisser sur le carmin de son nez. Et les peaux s'électrocutent au contact bref. « Hey, it's okay. Everything's fine. » Qu'il murmure, reprenant sa main pour lui, se fichant bien de savoir si le sang venait tâcher ses habits. « How do you feel? I thought you were about to pass out on me. »

Ils n’ont aucune idée de ce qui se joue, alors même qu’ils assistent tous les deux à cette tragédie, spectateurs impuissants d’un fiasco qui ne gagnera aucun Molière. Pour le destin c’est tout l’inverse, parce qu’au fond ce malaise a des airs de huitième merveille du monde, d’Atlantide (re)découverte. Et même si la fin sera funeste, même si le destin prépare déjà son cercueil (cette fois, pas besoin d’autant de bois, puisque Kazuha ne le suivra pas), il y a pour le moment de quoi fêter des retrouvailles, même si les deux concernés n’en ont aucune idée. “What's happening?” Il n’en sait rien non plus. En proie à un mal inconnu, Saebyeog se bat contre un démon invisible, mais malgré l’horreur, malgré la douleur et la peur, son rōnin ne lui renvoie pas que des images de tempête. Au fond, plus ou moins bien caché, il y a de la joie, un arc-en-ciel qu’il ne comprend pas - non, c’est même plus que ça, qu’il ne voit même pas. Kazuha le prend dans ses bras et ils ne peuvent pas savoir, que ça n’améliore pas le malaise, que le rōnin ne parvient pas à se remettre de ces retrouvailles soudaines avec l’autre partie de l’âme. Que ces deux cœurs si proches l’un de l’autre ont fait verser encre et larmes depuis des millénaires, irrémédiablement.
Mais finalement, la tempête se calme, comme toujours. Après la pluie, alors que c’est encore le brouillard entre ses côtes, Saebyeog retrouve des poumons à peu près fonctionnels, l’air qui se glisse à nouveau dans sa gorge, le cœur paniqué mais qui bat encore. Sa respiration se calme et sa vue redevient nette ; il peut distinguer quelques clients et son collègue, rapprochés sans trop l’être, inquiets de son état. Mais il n’entend que Kazuha, revient dans cette réalité à ses côtés lorsque son doigt se glisse sous son nez pour nettoyer le sang qui y perlait l’instant d’avant. “Hey, it's okay. Everything's fine.” Et ça suffit à le rassurer, pendant qu’il reprend ses esprits, que son corps s’ancre à nouveau dans le présent. “How do you feel? I thought you were about to pass out on me.” Il porte une main à son nez, les sourcils froncés, le doigt un peu taché de sang. “I’m… good, I think. I don’t know what happened, it,” s’arrête-t-il, réfléchissant un peu en même temps, “it felt weird.” Il n’en dit pas trop, pas vraiment conscient qu’il a failli mourir, là, dans cette librairie qui est pour lui comme une seconde maison sur l’archipel. “Thank you,” murmure-t-il en souriant, avant de se détacher finalement de Kazuha, étrangement à contre-cœur. Son collègue en profite pour se rapprocher, le détaillant pour vérifier que la crise est complètement passée. “Are you okay? You should go see a doctor, I’ll cover your shift.” Sans résistance, Saebyeog hoche la tête, avant de se retourner vers Kazuha pour lui dire au revoir, se sentant un peu coupable de le laisser, alors que c’est lui qui l’a invité. “I’m sorry to leave you like this, I’ll… see you?” Hésitant, ses mots ont pourtant des airs de promesse d’éternité et Kazuha hoche la tête, le laissant repartir. Et peut-être que Saebyeog a le cœur qui s’emballe parce que ça n’avait rien d’un adieu mais tout d’un au revoir, parce qu’en partant il ne le sait pas mais les âmes se sont saluées, discrètement, soulagées de s'être (re)trouvées.