l'homme est un loup pour l'homme (caleb)

 

Caleb traversait les rues de Shinmeidai d'un pas allègre. Il connaissait plutôt bien le quartier, y travaillant et c'est sans hésitation qu'il se rendait vers sa destination. Difficile de dire s'il était plus enthousiaste à l'idée de retrouver son ami Andrea ou à celle d'aller au bar. Peut-être était-il mieux de ne pas le savoir. En tout cas, il était content à en remuer la queue ! Et non, n'allez pas penser à mal, bande d'esprits pervers. Ses amis lui avaient fait remarquer que sous sa forme de loup à crinière, il avait tendance, comme les autres canidés, à remuer la queue lorsqu'il était heureux et si de base ils utilisaient cette expression pour le taquiner, elle avait fini par plaire à Caleb qui l'utilisait premier degré.

Il poussa la porte grinçante du Howligan's et un rapide coup d'œil dans la salle lui indiqua qu'il était le premier à arriver. Sans se décourager, il salua le serveur et alla s'installer à la table qui semblait la mieux située. Oui, monsieur est exigeant. Habituellement il aurait commandé un truc à boire pour passer le temps, mais aujourd'hui il devait être sérieux. Andréa l'avait invité pour l'interviewer et ça avait l'air sérieux pour lui, alors ça l'était pour Caleb. Il avait même pris la peine de mettre une chemise pour l'occasion. Au cas où. Il n'eut pas longtemps à attendre avant de voir débarquer son ami. T'inquiètes, j'arrive tout juste ! répondit le brésilien aux excuses de l'étudiant. Il regarda la main bien bandée et eu une grimace compatissante. Ta meilleure amie, tu dis ? Moi je pense qu'à ce niveau là, ya volonté de nuire ! Méfis-toi ! Le grand sourire qui traversait son visage montrait bien qu'il n'était pas sérieux. Le jeune homme pris le temps d'étudier la carte avant de faire son choix. Il opta pour un St Patrick's car d'après ses calculs, au bout de dix bières, il aurait la onzième gratuite comparée aux autres qui étaient plus chères. Non pas qu'il comptait boire autant aujourd'hui, mais quelqu'un ayant les finances de Cal se devait de planifier ses loisirs sur le long terme, et la bière occupait une place de choix parmi eux.

Lorsqu'il sorti son nez du menu, il constata qu'Andrea avait déjà tout mis en place. Ah, pas de caméra. Au temps pour la petite chemise classe. Il se contenterait du dictaphone. A vrai dire, c'était peut-être mieux ainsi en y pensant. En tout cas, plus logique. L'étudiant commença à introduire le sujet de l'interview mais eu la malheur de parler de catalyseur, envoyant directement les pensées de l'artisan vers des tentatives de diagnostiquer d'où pouvait bien venir le problème. Heureusement, il n'avait pas encore (trop) bu et rattrapa son esprit bien trop prompt au vagabondage. Hésite pas à me le passer ouais, je regarderais ça dès que j'ai le temps ! C'est toujours intéressant de bosser sur des catalyseurs élémentaires, chaque élément ayant sa propre façon de fonctionner. Puis si ça peut t'aider à pas te brûler les sourcils en plus de ta main déjà bien cuite, c'est avec plaisir.

L'enregistrement débuta et il eut droit à l'introduction en bonne et due forme. C'était pas plus mal pour être honnête, car si Caleb avait accepté sans hésiter la demande d'Andrea quand il avait appris qu'il pourrait l'aider, il devait admettre avoir un peu oublier le sujet. Hum hum. La poudre d'argent. Tout à fait. Heureusement la première question était facile. Une petite gorgée pour se donner du courage et c'était parti.

C'est bien ça oui ! La première transformation a eu lieu peu après mes 15 ans, mais j'ai débuté l'entrainement le jour de mes 13 ans. Normalement c'est à partir de 14, mais mon sadique de grand... il jeta un coup d'œil inquiet au dictaphone. je peux dire sadique, hein ? Non parce que j'exagère pas. C'est mon grand-père qui m'a poussé à devenir juujin et je crois qu'il avait déjà décidé ça pour moi avant même ma naissance. C'était pas toujours facile, mais aujourd'hui j'adore mon pouvoir et je suis content d'avoir été plus ou moins forcé à le faire.

Pas bien sûr du niveau de détails qu'attendait celui qui posait des questions et craignant de trop s'emballer, il préféra s'arrêter à ça et de voir l'intéressé souhaitait approfondir ou si ce n'était pas nécessaire. Puis il fallait savoir faire des pauses pour savourer sa bière irlandaise. Il remarqua que l'accent du britannique devint plus sonore que d'habitude mais ne pensa pas à faire le lien avec la boisson ingurgitée. En revanche, ce qu'il ne remarqua pas c'était les poils de sa barbe devenant verts par endroits, laissant son interlocuteur comme seul témoin.

En vrai, c'est pas vraiment un loup. Ouais je sais, vu le nom, c'est couillon. Caleb avait expliqué ça un nombre incalculable de fois dans sa vie et la plupart du temps, tout ce que les gens retenaient était : "ouais, enfin c'est un loup quoi !" ou pire encore "ah donc c'est un renard en fait ?" mais bon, là qu'il s'agissait d'une thèse, mieux valait être précis. Il fait parti de la famille des canidés, mais c'est le seul représentant de son genre. Au Brésil, c'est un animal apprécié donc j'ai jamais eu de problème avec la vision des autres. Il est même sur les billets de 200 reals ! Il avait énoncé ce fait d'une voix un peu plus forte car il venait de s'en souvenir et c'était sorti spontanément. Et ici, rares sont les gens qui connaissent cet animal, donc il plait bien aussi. Il s'autorisa un temps mort pour terminer sa bière et en commandé une nouvelle. 2 sur 10, le chemin vers les économies continuait !

J'aimerais dire que j'étais assez intelligent ou mature pour pas faire parti de ces jeunes mages, mais bon, tu dois commencer à me connaitre. Les loups à crinière sont du genre assez solitaires et ils organisent leur territoire entre couple. Une femelle, un mâle et basta. Je devais avoir 17 ans quand j'ai eu la bonne idée de me balader dans la savane sous ma forme animale. C'est toujours cool de pouvoir en profiter un peu, tu sais ? Tout est vraiment différent. Mais je suis arrivé sur le territoire d'un de ces couples pendant la période de reproduction. J'ai eu de la chance, je m'en suis sorti qu'avec quelques morsures de la part du mâle qui s'est contenté de me faire fuir. Pour étayer ses propos, Caleb montra les traces d'une vieille cicatrice qu'on pouvait encore deviner sur son bras. En y repensant, il se sentait toujours un peu bête de ne pas avoir été plus prudent et en même temps, il ne pouvait s'en vouloir car était toujours aussi désireux de pouvoir profiter de la liberté ressentie grâce à ses pouvoirs de Juujin.

Heureusement, mon grand-père, le fameux sadique, était pas bien loin et s'est occupé de soigner mes blessures. Caleb se plongea dans ses souvenirs pour tenter de se souvenir des ingrédients constituant la concoction que l'ancien avait préparé. Il fut un temps où il connaissait la recette par cœur, puis le temps faisant son œuvre... Je me souviens qu'il avait préparé une sorte de bouillie qu'il avait appliqué sur les blessures. Du cisrame, un peu d'okari.. Il était certain d'oublier des ingrédients, mais là ce qu'il cherchait uniquement à se souvenir c'était si oui ou non il y avait de la poudre d'argent. Je crois bien que oui. La poudre d'argent servait pour éviter l'infection, il me semble ? Est-ce que ça aurait du sens ? Parce que c'est ce que j'ai retenu je crois.

Oui, ça commençait à faire beaucoup de croyance et peu de certitudes. Mais bon, on fait avec ce qu'on a, hein ? Sirotant sa bière en attendant la suite de la salve de questions, il a à présent les cheveux parsemés de vert irlandais.

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Le brésilien s'était comme souvent laissé emporté dans son discours sur les loups à crinière et n'avait en effet pas remarquer le revirement de couleur qui envahissait sa barbe. Lorsque son interlocuteur lui fit remarquer avec humour, il se tortilla sur lui-même à la recherche d'un éventuel miroir et lâcha un petit rire lorsqu'il en trouva finalement un accroché au mur derrière lui. Tu sais, j'ai longtemps hésité de peur de devenir trop séduisant en vert. Je suis content de voir que ça te plait !

Caleb profita du résumé d'Andréa pour continuer à profiter de sa boisson, empirant sa situation capillaire sans regret aucun. De toute évidence, l'étudiant avait déjà bien cerné le sujet qui lui avait été expliqué. Du moins, de ce que Cal en comprenait, car certains mots n'étaient plus si évidents à comprendre avec son accent revendiquant fièrement ses origines. Les questions s'orientaient beaucoup sur la lycanthropie, sujet mal maitrisé par le jeune homme mais il fit au mieux pour répondre. Après tout, si boire une bière et parler de lui pouvait aider son ami, ce n'était pas bien cher payé ! Je t'avoue que le problème ne s'est jamais posé, le loup à crinière s'attaque majoritairement aux rongeurs et le plus gros auquel il s'attaque est le paca, qui mesure environ 70 centimètres. De ce que j'ai entendu au Brésil, les loup-garous eux ont tendance à viser plus haut dans la chaine alimentaire, donc il n'y a pas vraiment de confusion. En tout cas à titre personnel, je n'ai jamais été embêté par ça et j'avoue que c'est un soulagement, ça rendrait les choses compliquées je pense.  

Tout en parlant il réalisait une fois encore qu'il avait de la chance d'être tombé sur cet animal pour sa transformation et pas sur un autre. Le lien des juujins avec leur esprit gardien avait toujours un peu fasciné le monde et lui-même n'arrivait pas à déterminer s'il aimait tant l'animal justement parce qu'il était son esprit gardien, ou s'il était son esprit gardien parce qu'il aimait tant l'animal de base. L'éternelle question de l'œuf ou la poule. Être juujin était quelque chose de respecté de par la difficulté lié à l'apprentissage, mais rien que d'imaginer qu'on puisse stigmatiser quelqu'un pour son pouvoir le rendait presque triste. Heureusement l'alcool était présent pour le consoler. Caleb ne remarqua pas vraiment le comportement étrange de son camarade ni sa gêne, trop occupé par sa propre réflexion. Alors il répondit simplement à la dernière question.

C'est bien lui qui m'y a poussé, oui. Je pense qu'il voulait à la fois m'apprendre à dépasser mes limites et que je rende honneur à ma famille en parvenant à maitriser ce pouvoir qui est considéré comme difficile à obtenir. Mes parents ont toujours vu ça d'un œil amusé, sûrement contents que je passe du temps avec mon grand-père. Mais je pense que si j'avais un jour vraiment exprimé l'envie d'arrêter, ils m'auraient soutenu. Et au final, je regrette pas du tout !

La conversation suivit son cours et le brésilien était heureux de passer du bon temps. Il n'avait pas été facile de s'adapter à ses débuts ici et de voir le chemin parcourut le rendait heureux. Ou bien était-ce l'alcool dans son sang ? Sûrement un peu des deux. Andrea demandant des précisions sur les autres plantes ayant aidé à le soigner et Caleb plongea dans ses souvenirs pour y trouver les réponses. Il se revoyait plus jeune au Brésil en train d'apprendre le nom des herbes médicinales et leurs propriétés. Plus rapidement qu'il ne l'aurait pensé, cela lui revint en mémoire. Je ne sais pas si les plantes sont connues ici, elles viennent d'Amazonie. Mais si tu veux faire des recherches, il y avait de la catuaba, du jambú, de la griffe de chat et enfin de la patiquina. Globalement, ça a permis d'anesthésier, de prévenir les infections et de booster mon système pour se remettre plus vite. Et voyant la curiosité émaner de l'anglais à l'évocation de cicatrice, Caleb tira sur son t-shirt pour découvrir son épaule gauche, là où se trouvait la cicatrice la plus visible.

Le temps passe et la discussion se prolonge agréablement. Son verre est vide et la proposition de commander à grignoter et à boire d'Andréa tombe à merveille ! La prochaine question ne le surpris pas vraiment, étant un classique de ce qu'on lui demandait en rapport avec sa forme animale. Non, je n'ai jamais tué ou même attaqué un autre animal. C'est l'avantage de pouvoir garder le contrôle. Je pense que je me sentirais trop mal de le faire. C'était un point sur lequel Caleb se jugeait lui-même très hypocrite, n'hésitant pas à manger de la viande dans son alimentation mais trop concerné dès qu'il fallait tuer sa propre pitance. Heureusement la match se lance et détourne l'attention.

Mais c'est trop bien ! Il criait presque tant l'engouement était communicatif. L'équipe des kitsune devint automatiquement celle qui supportait maintenant, devant l'enthousiasme de joueur professionnel. Tu penses qu'ils ont leur chance sans leur meilleur joueur ? Cal appuya sa question d'un clin d'œil très peu subtil pour bien insister qu'il parlait d'Andrea. La commande arriva et sans perdre un instant il récupéra sa bière St David's tout en piochant un des légumes sur la planche. Il regarda la boisson d'Andrea puis sa mèche de cheveux vert qui tombait devant son visage, se disant qu'ils auraient l'air bien étranges en sortant d'ici, après l'effet des bières.

J'imagine que ça te manque ? La question était sortie d'elle-même tant Andrea regardait le match avec passion. Il regretta vite de l'avoir laissé s'échapper, mais c'était trop tard. Il espérait juste qu'il ne touchait pas un point trop sensible.

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