imminent crash.

Un grand soleil comme s’il avait craint les vagues par là-haut derrière les nuages, il fait plus chaud que les normales de cette saison en ce début novembre. L’atmosphère est légère, frémissante, parée de ces promesses de renouveau. Le couvre-feu n’est plus, depuis l’aube – et même si beaucoup fréquentant ces lieux n’ont jamais été de ceux respectant ces décisions, la levée de l’interdiction apporte un sentiment de célébration. Au skatepark, tout le monde ne parle que des plages, des créatures échouées là-bas, que les militaires ont arrachées à leurs rivages. Anla, toi tu sais, à quoi elles ressemblent, à quoi vous auriez pu prétendre comme nouvelle cohabitation dans les océans – il y en avait sur les berges de Tenchijima. Et puis, on parle de la suite, des cours qui vont reprendre, des soirées qui n’ont plus à être cachées et les rideaux des commerces qui pourraient être relevés. C’est le premier jour que tu traverses sans transgresser les règles, pourtant ça ne t’a pas empêchée d’être cueillie à l’arrivée, ‘pour vérifier’. Désormais, il y un avant, et un après à cet automne.

Ce sont les retrouvailles spontanées, légères, agrémentée d’une liesse de cette veille d’anniversaire. La soirée s’entame tranquillement dans le capharnaüm des planches – il y a un peu plus de monde qu’à l’ordinaire. Vos sacs s’entassent sur un banc, votre banc, des hoodies abandonnés, des gourdes renversées ; et tu fouilles au milieu de cet amoncellement d’affaires pour te rendre compte que finalement, tu n’as pas pris ton téléphone. Tu reposes ton casque dans un soupir, tu ne l’as pas utilisé, alors tu ne t’es pas aperçue que, de toute façon, tu n’aurais pas pu écouter tes playlists.

Tu interpelles Saem en trottinant vers lui et, sans lui poser de question, glisses tes mains dans ses poches. Tu le retiens par les plis de son haut quand il veut s’en défaire, et dans un wait! essoufflé, t’essaies de le coincer avec un bras (sans trop savoir qui fait réellement une clé de bras à l’autre). Tu parviens à extraire son portable, I forgot mine, que tu lances comme explication, sans une excuse, et tu t’éloignes rapidement avant qu’il ne le reprenne. Thanks! Tu déguerpis tout en composant le code de déverrouillage comme si l’appareil t’appartient, balaies les notifications de l’écran sans même y prête une attention, et tu lances l’appareil photo, retrouves ta planche, puis repars en sens inverse derrière les garçons. Tu suis Saem, Akira, d’autres personnes, tu endosses le rôle de la cameraman spontanément, à faire des plans sur les figures, à arpenter tous les parcours pour en révéler tous les contours, et tu finis par rendre le portable à son propriétaire après quelques heures.

Au début, c’est imperceptible – un peu de chahut, un groupe en remplace un autre, plus vieux, plus bruyant, plus exubérant, ça ricane, ça ouvre des canettes de bière, les roues des planches crissent furieusement sur l’asphalte. Ça commence l’air de rien, un échange de travers, l’un d’eux t’effleure, une première fois, traverse ta trajectoire sans respecter ton espace, coupée dans ton élan. Tu retrouves ton équilibre en soulevant un courant d’air dans ton dos, et tu suis le type du regard en laissant ta planche ralentir toute seule, entends son ricanement, les frictions qui s’amassent dans les molécules d’éther, dans l’atmosphère, sous ton crâne. Tu poses un pied par terre, alors que lui s’en retourne à ses comparses. Le regard de Saem trouve le tien, perplexe, et tu hausses les épaules, l’air de dire que ce n’est rien, ce n’est pas grave, t’as qu’à faire gaffe – comme s’il n’y avait pas assez d’espace, de pentes et de rampes pour occuper toute cette ribambelle de skateurs.

Et ça recommence, avec d’autres. De plus en plus envahissants, irrespectueux, dangereux. Une deuxième fois, avec toi. Malgré toutes les précautions prises pour en rester à l’écart, désireuse de ne pas laisser des imbéciles gâcher ces instants de joie. Tu ne l’as pas vraiment entendu, un moment d’inattention, la conscience qui décroche un peu, perdue dans tes pensées ; quand tu le remarques, enveloppée dans son ombre, il est trop tard. Le gars te percute de tout son poids, et de toute sa vitesse, désintègre ton équilibre, t’en fais oublier toutes tes maîtrises sous la surprise. T’as les godasses qui dérapent et tu tombes, tu t’écrases par terre, la peau qui s’écorche sur le bitume encore brûlant des caresses du soleil de toute une après-midi passée sous ses lumières. Ton skateboard termine sa course aux pieds d’Akira, craquelé, il ne lui reste que quelques centimètres avant de se fendre complètement, balafré au milieu de vos dessins.

Tu te relèves, ne dis rien, n’en penses pas moins (‘Rude.’), frottes tes paumes esquintées, dépoussières rapidement tes fringues un peu déchirées et, les lèvres pincées, maussade, tu te diriges silencieusement vers Akira. T’as les traits fermés quand tu récupère ta planche abîmée, en serrant les dents à défaut de t’en mordre les lèvres. L’atmosphère se charge, tout comme ton cœur, réceptacle des émois de chacun, des ricanements, des highfives lointains, des boo! scandés, et un étau se resserre sur ta tête comme un piège se referme.

Looser! Un ricanement, et d’autres. No room for cry babies!

Les syllabes se détachent clairement dans le chahut sous ton crâne et, toujours face à Akira, tu te retournes lentement, de profil, le regard de biais par-dessus ton épaule à l’attention du fauteur de trouble qui, sous les yeux de tout le monde, perd soudainement le contrôle de sa planche qui décampe à toute vitesse comme propulsée par des vents invisibles. Il se rétame comme une grosse merde par terre et pendant qu’il se donne en spectacle, des poussières remontent imperceptiblement du skate à leur invocatrice. Ton regard s’en retourne à ta planche à toi, consternée, les renflements de tes vêtements et tes cheveux s’affaissent distraitement alors que ta magie élémentaire s’éteint, et que les éclats dans tes yeux mauves s’estompent.

Tes paumes ensanglantées laissent des traces sur les rebords et tu lâches un profond soupir d’ennui, tu n’as jamais été très douée dans les magies réparatrices.

La nouvelle inonde les tabloïdes poussiéreux ; le couvre feu a sauté, la veille, et dans les quelques heures qui suivent l'annonce, le groupe s'est déjà réuni sur le terrain de retrouvailles habituel, laissant les rayons de l'astre et les rires rebondir sur leurs peaux. Malgré le fait d'avoir été inactif la quasi totalité de la journée, Saem demeure en galère pour se remettre des festivités de la fête de l'horreur, organisées cette nuit, alors on le trouve plus taciturne qu'à son habitude, pas d'humeur à faire fleurir des conversations sur une quelconque impulsion. Après quelques figures bien agencées, entrecoupées de pauses pour s'assurer de ne pas régurgiter son déjeuner tout droit dans le creux de l'asphalte, il laisse les forces de frottement ralentir sa planche, non loin des bancs entourant le terrain - le temps de changer de son, puis recale son téléphone dans la poche de son sweat beige.

Un peu plus loin, il y a Anla qui cueille son regard - Saem plisse les yeux à son approche, dévisage l'air rusé placardé sur sa face avec l'appréhension d'une biche attendant de se faire dévorer par un loup. Il fuit pas tout de suite, pourtant, et ça laisse le temps à la fouineuse de mêler ses mains à ses doigts bagués, visiblement à la recherche de quelque chose. Pendant la manœuvre, la brise crépusculaire glisse entre les mèches charbonneuses de la ryu, dispersant la masse de cheveux entre eux, obligeant le fugi-ka à fermer les yeux un instant. yo, what are you doing? qu'il s'agace faussement, entamant un pivot pour se défaire de son emprise. wait! - answer me or go away, you sneaky. un moment, il pense qu'elle l'écoute, parce qu'elle lui rend son espace ; mais repart avec son téléphone. I forgot mine, il lui emboîte le pas, looks like a 'you' problem, give it back now! mais en quelques secondes elle est déjà loin, repartie affronter les rampes laissées à l'abandon pendant que l'océan criait, thanks! - you're pushing your luck, kurri! crie-t-il tout de même, pour la forme.

L'affront lui reste dans la gorge quelques minutes, pendant lesquelles il veut désespérément récupérer sa musique, mais finalement la vitesse et l'engouement ont raison de lui. Une demi-douzaine de majeurs portés en direction de sa mate achève d'enterrer son amertume, et, pendant un temps, tout semble redevenir comme avant. Le soleil lui crame le cou et le visage, léchant des perles de sueur dévalant sa nuque, avant d'être remplacé par une golden hour éclatante. Différents groupes arrivent, d'autres partent, mais les changements n'entachent pas son focus. Il se fait couper la route une fois, et met l'offensive sur le dos de la ferveur du contexte - se contente de changer de module sans faire de vague. Mais sur sa gauche, y'a des sons qui percent l'équilibre ambiant, et d'instinct Saem tourne son regard dans leurs directions - pour trouver à l'autre bout une Anla décontenancée, bousculée. De toute évidence, les assauts sont ciblés. il fronce les sourcils, croise le mauve de pupilles qu'il reconnaîtrait entre mille ; en plein milieu, des braises qui n'attendent qu'à ce qu'on souffle dessus.
Ça se calme un temps, après. Un court intervalle d'accalmie qui se casse la gueule dans un capharnaüm déplaisant - Saem s'est suffisamment ramassé dans toute son existence pour reconnaître le son d'un corps qui chute, et il sent sa raison lui glisser entre les doigts en constatant que cette fois, c'est celui d'Anla qui collectionne les éraflures. Le bout de sa godasse appuie à l'arrière de sa planche pour l'arrêter net, et il trottine aussitôt jusqu'à elle et Akira. Are you hurt? Il sent son corps tout entier se tendre, alors qu'il enserre celui de Anla en passant un bras autour de ses épaules - réconfortant sans être infantilisant. Il s'en détache pour l'aider à effacer la poussière de ses fringues, et ses paumes s'emparent du dos de ses mains, les retournent pour examiner l'étendue des dégâts.

Ses yeux scrutent le camp d'en face, l'âme colérique et l'envie d'en découdre gonflant en lui. Il se force à redescendre, à utiliser les éthers pour calmer le sang qui sprinte dans ses bras - ça n'en vaut pas la peine. À peine reprend-il le contrôle que les moqueries à répétition ont raison d'Anla ; il le discerne dans la ligne parfaite que suit la brise soudaine déviant un skate, partant en l'air à la façon d'une fusée enclenchée.
Il existe un moment où il sent l'atmosphère se charger en vibrations, de querelles en devenir, de magie ne demandant qu'à imploser. La chute n'est pas accidentelle - et si c'était si évident à comprendre pour Saem, toute la ribambelle d'imbéciles a aussi dû faire ses propres calculs.

D'un côté, la bande hostile déboulant dans leur direction, de l'autre l'écho des pas d'Akira sur ses talons ; le corps de Saem se pose pile sur sa trajectoire, mur chétif érigé entre les deux courants contraires. Avec fermeté, il retient son ami de quelques doigts sur son torse et lève la main libre en un stop implicite de l'autre côté. move. - calm down. est lancé en direction des trois intrus, des trois anomalies qui se sont introduites dans son cercle proche. not until your bitch say sorry, douchebag! il hausse les sourcils d'ahurissement tout en s'avançant d'un pas mauvais, comme si tout à coup son envie de traiter les choses pacifiquement était partie en fumée, we saw her, she attacked us, et il lui faut rassembler toute la volonté qui végète dans ses membres pour ne pas simplement les enclencher. Il désigne du doigt celui en retrait, celui dont les mots ont dépassé les limites invisibles de la clémence de Saem, puis lui crache : don't call her a bitch or i'll make you eat your teeths. Le cœur était en bataille, posé là à se demander s'il était bien utile de leur accorder le bénéfice du doute - il s'évite bien des peines quand ça le concerne, Saem, mais se retrouve à montrer les crocs quand on s'en prend aux siens. Il rabat son attention sur l'autre inconnu. she didn't, and even if she did, you started it. - say that again? il fronce les sourcils, you literally made her fall, dude, called her a loser and now her skate is freakin' broken. - it's not my fault if women can't stand on a fuckin' board. - it is when you get in her way to make her fall and show everyone that you got a microscopic dick. et il va trop vite, trop loin, se laisse emporter par les tons qui grondent et les rafales divergentes, s'en rend compte en décalé et tente de bifurquer, de se reprendre, but look, there's no need to f- Saem n'a pas le temps de réagir ; un poing est envoyé contre son nez, propulsant son corps au contact de l'asphalte.