that green light, i want it (kayla)

Il y avait, dans le creux de sa poitrine, un coeur en bataille qui accrochait ses valves contre des fils de fer barbelé. Des bombes qui explosaient tous ses membres, le sang dilué d'alcool ramenant la fumée des ardeurs jusqu'à son crâne plombé d'ivresse et d'autres composants dionysiaques. Neela avait la gorge enrouée de rires et d'exclamations. Les muscles engourdis et épuisés par les grésillements de la basse - celle qui faisait trembler tout son squelette. Un peu de vibration pour annoncer qu'elle en avait un, composé d'os et de querelles, de poussière et d'eros. Les joues se teintaient de pourpre, at last some life.

Le téléphone avait sonné et c'est sa colocataire qui lui avait annoncé la nouvelle : leur livreur clandestin de pizzas s'était perdu dans le labyrinthe de béton d'Eiyamachi. Un débat de bonté avec la jeune sorcière s'en suivit et Neela insistait pour attendre le malheureux au bas de l'immeuble, rajoutant, avec un sourire paresseux que la toxicomanie patientait également sous les étoiles (invisibles dans leur ciel brumeux).
Un billet coincé sous son bustier, son masque scream sous le coude, ses mains se remplirent de différents artéfacts : booze and blunt, telle une impératrice déchue.

Les néons se languissaient toujours - au bout des escaliers bruyants et humides. Derrière la porte lourde et ses tags multicolors, ils crépitaient contre le goudron moite de pluie, étalant leur halos sur le dos des chats ambulants et des rats passants. Les soleils d'Eiyamachi prenaient des teintes différentes : pour chaque bâtiment, son lot de rayons descendant jusqu'aux iris des habitants. L'astre de Neela était rouge.
Bordeaux, pensait-elle, un sourire niais sur les lèvres.
Rouge et sempiternel, flottant au-dessus de la route tel un dieu récalcitrant. Le feu n'avait jamais changé de couleur si bien que les voitures ne faisaient plus attention à ses indications, mais parfois...il clignotait, toutes les faces curieuses de ces lieux se collant aux vitres avec l'espoir de le voir passer au vert.

Red.
Crimson.
Maroon.
(Her blood on the snow).
(His blood on the street).

La brise glissait sur sa peau, léchant les perles de sueurs et les paillettes, ralentissant le pouls de la sorcière. Son cou s'ouvrait aux cieux, les traits totalement effacés derrière son masque, balançant sur ses épaules. Naturellement, elle voulut allumer son joint, oubliant que sa bouche était obstruée. "Shit..." ricana-t-elle seule, debout sur le porche, les pieds croisés. Alors, la vision s'ouvrit lorsqu'elle fit glisser le tueur de sa tête...et ainsi, un mirage obstrua le coin de ses yeux.
"Kayn?" Le prénom lui glissa du gosier, sans même que l'esprit n'ait le temps de réagir, de comprendre et déchiffrer la silhouette noire se mouvant dans les ombres. "Wha-what are you-" la confusion entrecoupait ses pensées de questionnements, de possibilités, mais elles se déclinaient avec une telle lenteur que la sorcière ne pouvait formuler correctement l'étendu de sa surprise. Alors les mouvements prirent le dessus, les pieds descendirent le long des marches et trottinèrent jusqu'à lui, des pas minuscules à cause de ses talons que ç'en était presque ridicule. "Wait! Wait...I-" elle s'arrêta, soudainement essoufflée alors que la distance parcourue se résumait à cinq grandes enjambées. Mais l'estomac se nouait déjà et elle devait retenir les insectes qui y grouillaient, leur supplier, intérieurement, de ne pas dévaler de ses lèvres.
Son regard brumeux glissa des godasses du sorcier à son visage, mollement, les paupières lourdes et contraignantes. Puis elle revint sur la main de Kayn, celle qui tentait de se cacher derrière son dos...celle qui tenait..."What-" sa respiration était bruyante, les mèches de ses cheveux collant sa poitrine, l'euphorie de la soirée s'accrochant encore à sa silhouette. Elle tendit l'index vers le bouquet. "Is it for me?" Peut-être était-ce tombé trop brutalement, ou de manière hasardeuse. Peut-être était-ce l'ironie de la situation ou les substances frénétiques qui bombardaient ses neurones de fougue, mais Neela se sentait légère...pas plus haute que quelques pommes et pourtant sa caboche flottait au-dessus de la citée. Loin dans les cieux, et de là-haut pouvait-elle voir les veines fluorescentes de ce cadavre de quartier. Soudainement, ce dernier ne semblait plus si terrible.
Elle gloussa - coinçant la cigarette à ses lippes et l'allumant du bout du doigt (les seules réminiscences de sa capacité naturelle, originelle, celle qui l'abandonna sans toutes ces drogues). La fumée dégringola, avalant l'entièreté de son faciès. "Come on," la main libre se tendit de nouveau, "give it to me. It's mine.".
Et quand elle l'eut, son bras resta droit devant elle, aussi loin de son nez que possible. Aussi loin d'elle pour que les odeurs ne l'attrapent pas...pour que le pollen ne la chatouille, que le dégoût ne s'installe pas. Du moins pas tout de suite. La cigarette pointa une des fleurs, de la cendre dégringolant sur un des pétales - rouges. "Hm," ses paupières se plissèrent, feintant la réflexion, "Peonies. A certain someone," le ton insista sur ces mots, "once told me they were supposed to bring wealth. Good for beauty potions as well." un sourcil se releva en sa direction, "What d'you think? Was I lied to?" Elle ne savait pas pourquoi elle s'en souvenait, et, honnêtement, dans son état...elle se fichait bien de déraciner les mémoires. La sorcière laissait les mauvaises herbes pousser, dans leur coin. Elle inhala de nouveau. "So what's the rest good for?" toutes ces autres étoiles qui trônaient devant ses yeux bruns, "What does it mean?" finalement, son bras lâcha, le bouquet tapant contre sa hanche. Parce qu'elle voulait pouvoir capturer l'entièreté de son visage quand il répondrait - parce qu'elle voulait savoir si le mensonge allait pulluler de ses pores. Parce qu'elle aurait voulu pouvoir parler le langage des fleurs couramment et comprendre les nuances des syllabes échappant du gosier de Kayn, toutes les épines et les pétales. Toutes les sèves et les propriétés.
Hell, enfant, elle avait voulu se transformer en fleur...seulement pour qu'il la cueille et l'enferme dans son journal - au moins ainsi, sous son oeil critique et savant, toutes ses couleurs auraient fait sens...elle aurait été comprise, contre le blanc du papier, derrière l'encre du stylo.
Et parfois, elle se disait que seulement sous cette forme, il ne l'aurait jamais oublié.

Crowded enough, no light above,
How could I not tear you apart?
Crowded enough, no light above,
How could you not tear me apart?

Il existait quelque chose de tout-à-fait tragique, dans le fait d'offrir un bouquet d'anniversaire à quelqu'un qui semblait si résolu à lui ôter la vie, quelques mois auparavant.

Il l'avait déchiffré dans le regard perçant de Esraa, alors qu'il traversait les vestiges de leur appartement plongé dans le noir, dos à elle de façon à dissimuler les bourgeons assemblés dans le creux de son manteau et lui faire comprendre, implicitement, qu'il ne voulait pas discuter - il n'avait pas honte, il ne voulait juste pas entendre son avis sur la question.
- "I hope it’s for me..." Il se tourna vers elle.
- "As far as I know, it's not your birthday Ez', so no."
- "Where are you going like that?"
- "Nowhere. Are you my mom?"
Elle le dévisagea.
- "Who are you and what did you do to my Kayn? Who is it for?"
Un silence plana un instant, et Kayn évita son regard, avant de venir l'accrocher à nouveau.
- "It's for Neela."
Nouveau silence. Elle pencha la tête.
- "It’s not your kind of… affection? I guess." Ses yeux se plissèrent, comme s'il était tout à coup pris d'une fatigue intense. "I guess she’s lucky." Il envisagea de se justifier misérablement par un since when is it yours, though? ou encore I did plenty for you, don't be jealous, mais il n'était pas stupide au point de marcher sur une mine armée.
Il préférait la contourner, prudemment.
- "If you say so." Sur la pointe des pieds, il tenta un désarmement, apposant ses lèvres sur le front de Esraa avant de s'éloigner vers l'entrée. "Don't wait for me, I don't know when I'll be back. Have a good night."

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Si on lui avait confié que la mort vivait au coin de sa rue, il ne l'aurait sûrement pas cru.

Entre l'immeuble de Neela et le sien il n'existait que quelques rues crasseuses, que quelques dédales sinueux rejoignant l'avenue principale de Komeikyū - ils écumaient tous les deux le même quartier tous les jours, le même mélange de boue et de pluie mal évacuée. Plusieurs néons avaient leurs vitres brisées, formant des étoiles de verre, et il s'en échappait des fluides aux apparences d'essence renversée, des restes de Poussière concentrée - Kayn regardait s'évacuer les gouttes de l'un d'entre eux avec une attention minutieuse, suivant un décompte dans sa tête.

5 drops and I ring the doorbell.
Sous ses godasses abîmées par l'usure, des lambeaux de journaux et de magazines collaient à l'asphalte telle une seconde peau tenace - il était figé à quelques pas de la façade extérieure, à moitié dans l'ombre et à moitié dans la lumière des lampadaires extatiques, comme s'il préparait un mouvement coup. À quelques étages au-dessus de lui, un halo lumineux s'extirpait par la fenêtre et des basses faisaient trembler les flaques environnantes. Sans doute le cœur des festivités ; il n'y avait que Neela pour être une fossoyeuse aussi lumineuse et aussi bruyante.

La cinquième goutte tomba, et il fit mine de ne pas la voir.
Au creux de sa poitrine persistait un doute qui ne s'était pas encore frayé un chemin jusqu'à son cœur en quittant sa propre demeure. Il lui murmurait qu'il n'avait rien à faire ici ; et que Esraa avait peut-être raison, après tout ; ça ne lui ressemblait pas, et tout ça n'avait aucun sens.
10 drops then.
Une éternité trop courte plus tard, la dixième toucha la chaussée et, vraiment, son corps ne se décidait pas. Le destin le fit pour lui lorsque la porte s'ouvrit en grand, laissant s'évader de son antre la cause de tous ses conflits nocturnes. Ses paupières ne s'osaient plus à cligner, de peur de trahir sa présence et que Neela puisse le voir, hésitant et incertain - peureux comme un chien errant.

S'il restait, il était persuadé qu'elle finirait par entendre les échos de ses battements affolés.
It's a bad idea. Alors il choisit la fuite, amorçant quelques pas pour retourner d'où il venait - mais de tous il devrait savoir que c'est lorsqu'il tournait le dos à Neela qu'elle le reconnaissait le mieux.

"Kayn?" Fuck. Il accéléra son pas, d'abord, avant de le ralentir en l'entendant sur ses talons. Cette fois-ci, la nuit n'était pas tendre avec lui. "Wait! Wait...I-" Il s'arrêta tout-à-fait en entendant la maladresse de ses enjambées - loin de lui l'idée de la laisser s'ensanglanter. Encore. Il s'assura de garder le bouquet hors de sa vue dans la manœuvre. "Hey." C'est dans la pleine lumière qu'ils se firent face, et au-delà de l'anxiété qui bridait tout son être, il put enfin constater à quel point elle s'était apprêtée. Elle brillait, toute de blanc vêtue, si ce n'était son teint quelque peu blême, témoin d'une soirée animée.
"What-" Il espérait que l'alcool dans ses veines l'empêchait de voir à quel point son propre visage se décomposait ; à quel point il était troublé et perplexe et ébranlé par toute la situation.
"Is it for me?" Yes. "Maybe." De toute évidence elle parlait des fleurs qu'il ne cachait pas si bien que ça dans son dos, alors il les ramena entre eux avec précaution, pour ne pas en abîmer les pétales. "Come on - give it to me. It's mine." Devant sa main tendue, son insistance presque espiègle et à l'entente de son gloussement, il ne put qu'obtempérer. "Alright, take it." Et le poids sur ses épaules s'allégea juste un peu.

La passation se constella de sentiments divergents - manifestement, elle semblait avoir oublié que le coude pouvait se plier. Il fronça les sourcils. "It's not poisoned, you know." Les débris de sa cigarette volaient jusqu'à ses feuilles. Il rangea ses mains dans ses poches pour s'empêcher de le lui reprendre. "You're going to put fire to it, Neela." Pressa-t-il. Il existait tout un paquet de choses qu'il aimait voir brûler ; ses bouquets n'en faisaient pas partie. "Hm," - "Hm?" Il lui laissa le temps de réfléchir à ses mots, parce que tout semblait relativement lent dans ses réactions. "Peonis. A certain someone once told me they were supposed to bring wealth. Good for beauty potions as well." Dans ses paroles il retrouvait sans difficulté la teinte de ses propres mots. "What d'you think? Was I lied to?" Ses traits se fendirent d'un sourire bref. "Seems like a wise someone to me." Son regard rencontra le bout de ses chaussures - il regrettait de ne pas s'en souvenir. De ne pas être capable de déterrer des circonstances, de retracer l'étendu du ciel ou les murs dans lesquels ses parents l'avaient abandonné, de se remémorer l'expression du visage de Neela, à cet instant-là, quand il avait partagé un bout de son âme si aisément.

"So what's the rest good for?", sans doute n'était-elle pas aussi complexe à déchiffrer que celle qu'elle lui offrait dorénavant, "What does it mean?" Ses yeux rencontrèrent les siens, puis naviguèrent vers le bouquet, puis revinrent à leur point de départ. Il hésita, peut-être à la recherche d'une plaisanterie dissimulée dans le coin de sa cornée, puisqu'il oubliait sans cesse qu'elle le connaissait. Il se plia à sa demande, éventuellement. "The red leafs are some krelis. It can be used in potions too. A certain someone would told you that their scent can bring calm and peace." Il pointa du doigt les variétés suivantes. "Then night tansies, brons, and hellebores. Respectively for luck, strength, and protection against bad spirits. Maybe they got other significations depending on cultures and locations though, but that's why i choose them for." Il rencontra de nouveau son regard. "And these are prapaniums. They have healing properties, known to make the bunch last longer," il réfléchit un temps, avant d'ajouter, "they're considered to be one of the most tenacious flowers. Almost never fading." De la même façon qu'elle un moment auparavant, il insista sur ces derniers mots. Puisqu'il avait l'occasion d'expliquer ses choix, il voulait s'assurer qu'ils aient l'impact escompté. Qu'ils s'accrochent à son esprit, qu'ils ne le dépassent pas à la volée - à la recherche de prémices d'une trêve qui puisse durer, hell, d'une porte ouverte sur un nouveau départ.
Peut-être qu'ils le méritaient.

"But it can mean whatever you want." Ce n'était pas le plus important, "Do you like it?" Ça non plus, en vérité. "Are you having fun, up there?" Osa-t-il, coup de tête en direction de la ruche bourdonnante, de laquelle il espère ne pas l'avoir arrachée.