Le gigantesque dragon gardant le pont menant de Honshu à Eiyamachi, lui non plus, ne dort jamais ; et nombre de passants l’ayant un peu trop embêté en passant se sont retrouvés le poil roussi face à sa colère. Ryūbashi débouche sur une grande place pavée et dégagée, le ciel entre chien et loup, comme une introduction à la nuit éternelle. La vue embrasse le pont et tout le quartier de Chūo-Kōei de l’autre côté du bras de mer, toujours visible malgré la différence d’obscurité. Les façades sont propres mais éclairées de néons en tous genres, entourant la gigantesque fontaine du centre de la place, représentant les Shijin, ces quatre animaux gardiens des éléments. Pour le Nouvel An lunaire, les communautés d’origines chinoises de l’archipel se réunissent à Ryūbashi-hiroba pour des festivités grandioses, à la lueur des lanternes de papier flottant dans le ciel.

Brouhaha des clients faisant trinquer leurs verres bruyamment, cris des rabatteurs venant chercher de quoi remplir leurs échoppes, restaurants, mais aussi leurs clubs douteux, vrombissement des moteurs technomagiques. Passez le grand portail multicolore, et Genkō-yokocho a tout des rues de la soif typiques et facilement repérable dans chaque grande ville. Les ruelles sont étroites et sinueuses, bondées dès la fin des heures de travail de Mages encore en chemise venant souffler un coup et se défouler dans les quartiers moins recommandés de Meiwa. Les néons surchargent la surface disponible sur les facades des bâtiments dans un sempiternel ronronnement, changeant de couleur de manière intempestive quand bon leur semble, aveuglant quiconque accède à l’artère principale depuis un coin de rue plus sombre. Au beau milieu de la nuit et jusqu’au petit matin, Genkō-yokocho s’enivre et se peuple de Mages aux pas balbutiants, allant peut-être s’endormir derrière un bar, sans être jamais totalement sûrs de ne pas se réveiller dépouillés.

Perdues sous les lumières moins franches, elles s’alignent dans des dédales sinueux qui constituent parfois un véritable labyrinthe. Quelquefois en escaliers ou en pentes, chacune possède un charme différent ou une atmosphère plus ou moins inquiétante. C’est souvent dans ces croisements surprenants que l’on retrouve des petites boutiques aux ressources insoupçonnées. S’il est parfois difficile de s’y retrouver, c’est que certaines d’entre elles semblent changer de place une journée sur l’autre.

Kagemura, c’est l’envers du décor. Le recoin de Eiyamachi devant lequel on passe les yeux fermés… à moins de n’y trouver un certain intérêt. C’est le Village des Ombres, le quartier pauvre, basse-ville percluse dans l’ombre des néons multicolores du cœur des festivités. Étouffé entre les murs branlants des habitations qui s’entassent comme des piles manquant de tomber à la renverse. Comme une tâche noire aux côtés de la métropole florissante, celle qu’on ne voudrait pas mettre en avant de peur d’attirer les regards sur la crasse qui se nettoie plus. Kagemura est peuplé de mages trop pauvres ou sans logement qui n’attendent plus rien des autorités de l’autre côté de leurs murs gris. Ses allures de cité industrielle abandonnée font de cette partie du quartier, un entremêlement de tuyaux rouillés dont les épaisses fumées encombrent autant les ruelles que les poumons. Loin d’être en reste sur ses propres affaires, Kagemura n’en est pas moins dynamique. On y retrouve l’émergence de cultures alternatives et la prolifération de marchés noirs, comme un écosystème qui s’adapte aux contraintes pour mieux subvenir à ses besoins. Mais le Village des Ombres fonctionne également à l’envers, car si la vie grouille dans ses ruelles étroites, le reste de ses activités se passent sous terre. Le quartier s’étend dans un réseau de souterrains qui s’apparente à une zone de non-droit et qui regorge de recoins mal famés comme de surprises amusantes. Si le réseau sert essentiellement au transport des marchandises de contrebande, il n’en reste pas moins le cœur d’activités culturelles underground. On raconte que les habitants qui ne quittent pas un seul instant Kagemura vivent sans jamais voir le soleil.

C’est plus loin, là où la civilisation se dissipe que la vie reprend un air plus calme et reposé. Forêt à l’aspect presque mystique et plongée magiquement dans une nuit éternelle, sa faune et sa flore ont dû s'adapter à un nouveau rythme de vie depuis l’apparition des mages sur l’archipel. Encore plus présente qu’au sein même du quartier, la végétation bioluminescente offre au lieu un superbe paysage qui pousse les plus curieux à s’aventurer parmi les hauts arbres. Peu dangereuse, elle est surtout connue comme un coin touristique. Attention, cependant, aux esprits les plus malicieux qui voudraient bien faire de vous leur nouvelle farce…