⍖ drink up me 'earties, yo ho (angus)

Ça doit être une espèce de revanche débile pour avoir imposé son aménagement d’horaires pour le dustquash, ou quelque chose comme ça. Évidemment, quand il a fallu envoyer quelqu’un de la section investigation remplacer quelqu’un, c’est tombé sur sa gueule ; pis, c’est pour couvrir le congé d’un abruti du département lifestyle. Évidemment que Kitano s’est pas privé d’envoyer Senri sur le coup, connaissant son amour tout particulier pour le journalisme de divertissement.

Elle a rien trouvé à redire, pas vraiment en position de négocier à couper deux de ses journées chaque semaine pour pouvoir filer aux entraînements et remplir ses nouveaux devoirs de coach. Elle a râlé, par contre, alors que Kitano doit sans doute cumuler les malédictions contre lui et ses 140 prochaines générations depuis leurs quelques années de collaboration.

Le pitch est con. Ça la gonfle déjà, mais c’est sur le chemin de retour, pas très loin de son appart, alors Senri s’y pointe juste avant le début du service du soir. Ça parle d’un spot “atypique” plutôt populaire pour les familles avec jeunes enfants, et elle savait pas trop à quoi s’en tenir - jusqu’à se retrouver plantée devant ce qui semble être une cale de bateau, servant de base à un bâtiment décoré de la manière la plus kitsch possible à l’effigie de tous les clichés possibles et imaginables autour de la piraterie.
Comment n’a-t-elle jamais capté l’existence de ce trou dans le quartier ? Senri fronce les sourcils, scrutant les instructions sur son téléphone avec une grimace de dépit. Mais faut y aller - sans trop savoir comment s’y prendre. Est-ce bien utile même de jouer les clients mystère ou de fermer son esprit pour un endroit pareil ?

Le service n’a pas encore commencé lorsque Senri entre dans la salle vide, alors que le personnel semble occupé ailleurs. Ses sandales claquent sur le vieux parquet grinçant, détaille la décoration - à l’image de l’extérieur - d’un oeil sceptique, et Senri s’accoude au bar en attendant qu’on l’accueille. Excusez-moi - y’a quelqu’un ? lance-t-elle d’une voix claire, mains jointes sur le comptoir. Y’A QUELQU’UN ! QUELQUELQU’UN ! La crise cardiaque passe pas loin et Senri sursaute une main sur le coeur, pour capter le perroquet coloré perché sur l’une des poutres en bois du plafond, venant brailler de tout ses poumons plumés. Putain de piaf de merde- lâche-t-elle malgré elle - alors que l’oiseau continue gaiement. PIAF DE MERDE ! PIAFPIAF MERDE ! Tu parles d’une entrée discrète et professionnelle - occupée à essayer de faire taire la bestiole, Senri ne voit pas le pirate aux cheveux hirsutes qui se tient désormais derrière le bar dans son dos.

Crise cardiaque - round 2. Se retourne sur ce mec sorti de nulle part dans l’ombre, et Senri laisse échapper un nouveau juron. Sa mère la p- souffle-t-elle presque pour elle, avant de se retourner vers l’autre être humain de la pièce. Reprend sa respiration, pour faire face au pirate. C’est pour le contrôle sanitaire. Visage sérieux derrière ses lunettes de soleil lorsque le silence s’installe, avant de couper court, et de coller une carte de visite sur le plat du comptoir. Je déconne. Igarashi, du Makōsa Itachi Shimbun. Je viens pour… Pour quoi au juste ? Aucune foutre idée de ce que son collègue a bien pu négocier ici. …un article, je crois. Ou une interview. Ou les deux. Peu importe ce que vous me donnerez, termine-t-elle en laissant tomber les bras, vaincue. Ça fait partie du folklore, l'arrivée jack-in-the-box, ou c'est juste pour les journalistes ? On sait jamais, peut-être que les pirates ont un goût prononcé pour faire peur à leurs invités - mais à en juger par la description "familiale" de l'endroit, Senri a déjà sa petite idée sur la question.

Joli costume, ajoute-t-elle avec un mouvement du menton, sur un ton volontairement trop sérieux pour être premier degré face à la dégaine mi-Barbossa, mi-SDF. C’est vous le manager ? Ou c’est lui ? Léger geste de la tête vers le perroquet qui semble s’être calmé dans son coin - peut-être était-il là uniquement pour annoncer les nouveaux visiteurs, finalement. J’espère qu’il a appris à éviter de chier sur la tête des clients, ou vous auriez de vrais problèmes avec l’inspection, raille-t-elle en jetant un coup d’oeil d’ensemble à la salle vide. Elle n’a aucune foutre idée de comment attaquer cette interview - c’est clairement plus facile quand il s’agit de cuisiner des témoins ou fouiller des archives à la recherche de preuves compromettantes que de causer pirates et cheeseburgers et faire semblant que ça intéresse quelqu’un.

Le barman a à peine le temps de répondre à ses questions stupides qu’un bruissement sonore, suivi d’un fracas de quelqu’un qui manque de se casser la gueule, résonne sur la mezzanine, attirant l’attention de Senri. Se retourne sur la vue d’un type à la barbe hirsute qui semble taper la pose le long de la rambarde, attendant peut-être une quelconque réaction. Mais Senri se contente de le scruter d’un air incrédule, dans un silence de mort qui semble plus parler que n’importe quelle réplique. Il est à vous Jo le Clodo ? glisse-t-elle en se penchant légèrement vers le barman, accoudée au bar, d’une voix se voulant plus ou moins discrète, alors que le pirate hoche la tête en guise de réponse.

Le perroquet semble trouver adéquat de s’emballer, se mettant à hurler, arrachant à Senri un sursaut et un regard suspicieux vers l’animal - clairement pas un piaf normal, maintenant qu’elle y regarde de plus près. Et Barbichette leur offre sa meilleure cabriole d’entrée, se jetant par-dessus la rambarde avec une corde dans une acrobatie de série Z, dans un bruit sourd sous les regards sceptiques des deux autres.

Senri hausse les sourcils, toujours accoudée, dos au bar - lorsque le nouvel arrivant se lance dans une diatribe dramatique aux relents de galion en carton-pâte, qu’elle observe en silence jusqu’à ce qu’il en aie fini avec son show, se rapprochant d’elle pour se poser au comptoir avec une confiance un peu trop familière qui la frappe immédiatement avant même qu’il ait le temps de parler. Putain de merde, c’est un Taizo sous stéroïdes. Yo-ho moussaillon, bienv'nue dans l'équipage ! Regard sceptique sur son expression sterne, le laissant faire son spectacle. Elle ne sait que trop bien comment se comporter, avec ce style de gars. J'espère qu't'es prête à mettre les mains à la pâte et à saborder des gallions ! C’est une manière corpo de dire que vous manquez de personnel ? réplique-t-elle du tac au tac, un léger rictus se dessinant sur son visage pour ponctuer la plaisanterie. Interviewer un faux pirate de restaurant familial, ça l’emmerde, alors si elle peut semer un peu la terreur en passant, le temps passerait plus vite.

Angus Edwards, second de l'équipage, enchanté. Angus. Anglais avec fort accent océanien - Australie, ou Nouvelle-Zélande. La quarantaine tassée. Une tchatche à rivaliser avec Kobori. Dans sa tête, ça fait tilt, relie les points sur les anecdotes qu’ils se racontent sans putain de filter à longueur de journée. Ahhhhhhh ! Angus Cul-d’Acier ! s’exclame-t-elle d’une voix claire et forte, comme si c’était putain d’évident. Au nom qui résonne dans les restaurants, des toussotements de rires étouffés semblent s’échapper du perroquet, auquel elle jette un nouveau regard suspicieux avant de revenir à son nouvel interlocuteur. Je croyais que c’était un pseudo de catcheur, mais je comprends mieux maintenant, continue-t-elle. Le gant lui est présenté, qu’elle serre d’une poignée peut-être un peu trop ferme, comme à son habitude. Igarashi, Makōsa Itachi Shimbun. Mon collègue a eu un empêchement alors - me voilà. Pas sûre de s'ils attendaient quelqu’un en particulier, mais il faudrait composer avec elle.

Un léger blanc s’installe - Senri, son truc, c’est les faits divers, les investigations et les artefacts magiques, pas les pirates de carnaval qui servent des assiettes de curry aux gosses. Un repaire de pirates, donc. S’éloigne du bar pour scruter les lieux sans se retenir, sortant son téléphone de la poche arrière de son jean pour prendre quelques photos. Un gouvernail de bois sur une petite scène au centre de la grande salle, une vigie de laquelle on peut sans doute bondir au premier abordage. Et ça fonctionne ? Vous faites combien de couverts par soir ? Ça fonctionne probablement, ou elle ne serait pas là - à moins qu’ils galèrent et que le gérant aie des contacts au journal pour pouvoir se payer un peu de pub. Aucune idée, personne l’a briefée en dernière minute. Senri trifouille le décor, touche tout ce qu’elle voit, scrute également le perroquet enchanté de plus près - qui semble être finalement un simple automate doté d’un haut-parleur et s’appelle probablement plutôt Hiroki que Coco. Et Angus Cul d’acier, ça vous est venu comment, comme idée de nom de pirate ? Elle s’amuse un peu, Senri, toujours dans cette danse d’asseoir un peu son charisme et son autorité en jetant des questions gênantes - mais si elle a déjà bien cerné le bougre, quelque chose lui dit qu’elle n’a pas fini d’entendre de grosses conneries desquelles discerner les vraies informations au milieu des diatribes dramatiques.