flowers to the moon ☼ roru

Il s'était senti coupable. Ou quelque chose du genre. Avait senti les regards de Neela sur lui depuis que Tsuru avait quitté cette fête qui avait été proche du fiasco et n'avait pas su quoi en tirer. Parce qu'il avait fait sentir à un.. ami (ou ce qui s'en rapprochait) qu'il n'était pas le bienvenu comme il l'avait laissé sous-entendre dans ses messages flous. C'était de sa faute. Il commençait à s'en rendre compte. Mais il ne savait pas réparer les pots cassés, Robin. Et depuis le temps, il commençait à apprendre que ses relations, il ne savait pas forcément les préserver convenablement. Alors des excuses étaient probablement les bienvenues. Mais Tsuru était introuvable. Et les quelques regards tournés en sa direction lorsqu'il demandait où l'autre pouvait bien se trouver parmi les ryus n'avaient pas toujours bon fond. Finalement, il avait trouvé son chemin jusqu'à la chambre d'hôpital du grand-père du plus jeune. Renseigné sur ce qui arrivait au vieillard, il n'était pourtant pas venu les mains vides. Avait acheté un bouquet sur le chemin. Par politesse. Parce que là, devant la porte entrouverte et la vision presque trop triste du garnement soleil face aux yeux fermés du dernier membre de sa famille, Robin a l'impression que pour la première fois depuis qu'il avait rencontré le plus jeune, il arrivait enfin à percevoir les nuages gris qui flottaient au-dessus de sa tête.

Il toque. Ca résonne quelques secondes avant que cela n'attire vraiment l'attention de Tsuru. Et le sourire que Robin lui offre est un peu faible, un peu maladroit. Etriqué. Il s'avance un peu, pousse le battant de la porte coulissante avant de la refermer derrière lui. Et il ne sait pas quoi faire de lui-même pendant une fraction de secondes. Le regard glisse sur tout ce qui l'entoure. Les machines. Les murs blancs. Les draps propres. Les tâches d'humidité au plafond. Le pull coloré de Tsuru. Il tire sur les feuilles des fleurs et ça manquerait de les arracher. La nervosité monte, avant qu'il n'ose enfin tendre le bouquet vers le plus jeune. « That's for your gandpa. I thought he'd like yellow as much as you do. » Ou peut-être qu'il se trompait et que Tusu n'aimait même pas le jaune. Il n'en savait rien, à dire vrai. Il ne voyait que le côté solaire de l'autre et c'était tout ce qu'il avait vraiment cherché à comprendre depuis tout ce temps, sans gratter les couches les plus profondes. Comme celle qu'il voyait, aujourd'hui. « Some friend of yours told me where to find you. » Qu'il confesse, en se remémorant le visage sceptique de l'homme qu'il avait croisé. De la réponse qu'il lui avait offerte en croisant les bras sur la poitrine, sourcils froncés sur son visage comme s'il savait qui il était. Et il lui avait donné plus d'informations lorsque Robin avait avoué devoir présenter quelques excuses. Alors il déglutit du fond de sa gorge, parce que, définitivement, il n'est pas doué pour ce genre de trucs. Ca tombe lourd dans son estomac et il s'accroche aux bouts de ses manches pour finir par lâcher : « I'm sorry about the other night. » Court silence. Il ajoute : « Thanks for the gift. It's... Really pretty. »

Il n’y avait pas eu d’après - c’était peut-être parce que Tsuru considérait la situation comme un non-événement, ce qui justifiait l’absence d’après, et même d’avant, d’ailleurs. Il avait juste repris sa vie comme si de rien n’avait été, un cadeau et ses quelques heures de préparation en moins. Probablement un ami, aussi. Si Robin l’avait jamais été (il en doutait). Depuis l’anniversaire, il n’avait pas eu de raison de se rendre sur l’île, préférait flâner le long des rues d’Uminomiya, les pieds dans l’eau ou les bras au bord du lit d’ojiichan, à compter les oiseaux au lieu de faire ses devoirs. Et en réalité, il avait trouvé mille et une raisons de ne pas y retourner, même s’il ne l’avait jamais formulé comme ça. C’était plutôt qu’Anla avait besoin de lui pour l’association, que Kazuha voulait l’emmener en randonnée, que son grand-père s’était réveillé, ou bien que les vagues l’appelaient. Chaque raison devenait un désir et un besoin, et Tsuru n’avait jamais été fort pour les restreindre, sans doute parce qu’il n’en avait jamais eu l’envie. La vie avait bien moins de saveur, sans liberté. Pourquoi devait-il écouter autre chose que le chant désorganisé de cette île qui ne l’acceptait même pas encore tout à fait ?
En réalité, il était là plus que d’habitude, assis au bord du lit ou de la fenêtre, à veiller sur son grand-père ou sur les vagues, le regard perdu et l’esprit ailleurs. On aurait dit l’inverse, mais il ne réfléchissait pas - non, il réfléchissait, mais il ne pensait pas à Robin, à l’anniversaire, à ce sourire fané qui l’avait rendu mal à l’aise, tout ce qu’il avait vu dans ses yeux et qui ne franchirait sans doute jamais ses lèvres. Il ne pensait pas à Robin ; sauf que le dire, ça voulait peut-être dire que c’était déjà trop tard et qu’il se mentait à lui-même. (Il répondrait toujours peu importe.)
Quand ça toque, Tsuru est assis près du lit, suffisamment relevé pour lui permettre d’y reposer sa tête, les yeux qui regardent son grand-père endormi. Il a demandé à faire remplacer les bruits des machines par celui des vagues, pour lui donner l'impression qu'ils sont de retour en mer à chacun de ses réveils. Mais s’il a amené des bibelots de leur bateau pour lui tenir compagnie, les murs sont encore vierges de tout, marqués du sceau de la maladie qui ne les quitte jamais vraiment, même si Tsuru les avait cachés d’affiches et de photos. À la place, il les a installées sur la table de nuit : une d’eux, une de ses parents, une de cette grand-mère qu’il n’aura jamais connue mais qui ne les quitte jamais. Tsuru relève la tête, s’attend à croiser un ryū venu saluer son grand-père ; à la place, il trouve un Robin gêné qui lui adresse un maigre sourire, un bouquet de fleurs à la main. That’s for your gandpa. I thought he'd like yellow as much as you do. Et sans doute parce que c'est lui, parce que le soleil ne se cache jamais bien loin, son sourire s’agrandit, dépourvu de la moindre trace du non-événement qui semble pourtant avoir conduit Robin jusqu’ici. Il prend les fleurs, les doigts qui effleurent les siens (un autre non-événement), les posant près du lit de son grand-père. He’s going to love them, thank you Robin. He loves the sun. (Parce que c’était ça, pour lui, le jaune, ça ne pouvait rien être d’autre.) It’s very sweet of you.
Some friend of yours told me where to find you. Robin anticipe une question qui n’avait pas grande importance, à laquelle Tsuru répond d'un sourire. Ce n’était pas comme s'il cachait au monde entier la condition de son grand-père, du moins pour quiconque s’y intéressait. La grande majorité des ryūs savait où le trouver : là, sur leur bateau ou dans la mer. Éventuellement chez Nyl, de temps en temps. Mais la suite l'étonne plus, parce que Tsuru était sans doute persuadé que Robin allait s’en aller comme il était venu, que les fleurs constituaient sa seule raison, qu’il n’avait rien d’autre à lui dire (qu’ils n'avaient plus rien à se dire). I'm sorry about the other night. Tsuru ne perd pas son sourire, pas même quand Robin ajoute, Thanks for the gift. It's... Really pretty. À la place, il jette un œil à son grand-père endormi avant de prendre la main de Robin pour sortir de la chambre. We’ll wake him up, come on, chuchote-t-il, le tirant jusqu’à la sortie. Ne lâche sa main qu’une fois dehors, sous le soleil de l’entrée du bâtiment, les lèvres toujours étirées en ce sourire qui ne le quitte pas. You have nothing to be sorry for, it’s okay, and I’m really happy you liked the gift. Et si son ton est plus doux qu’habituellement, il ne ment pas, au fond. Pas seulement parce que ce n’est pas un non-événement, mais parce que même s’il acceptait ce qui s’était passé, Tsuru savait que c’était sa faute. Qu’il avait mal compris ce que Robin ressentait à son égard, qu'il s’était senti invité sans l'être vraiment. Thanks again for the flowers, they’re going to look lovely in his room.

Ca soulage, de voir le sourire de Tsuru. Ca apaise la poitrine comme si enfin, les nuages se perçaient d'un peu de lumière. Et pourtant, il ne s'est pas passé grand chose. Et pourtant, Robin se demande si c'est tout ce que cette rencontre demandera. Une sorte de pardon non prononcé (il s'est pourtant promis de ne pas faire demi-tour sans l'avoir énoncé). Alors il le dit. Un peu trop fort, peut-être, dans cette chambre débordant de souvenirs, de bibelots qui sont très certainement synonymes de maison. Mais il ne sait pas exactement quoi faire de plus et quand ça résonne contre les murs, il s'en veut un peu (de s'être dit qu'ici et maintenant, c'était le bon moment). Alors il se laisse guider par Tsuru et pour une fois, il se sent plus jeune que lui. Comme si la simple présence de la famille de l'autre justifiait cette sensation de gêne. D'être tout petit. « Sorry. » Qu'il marmonne. Autant pour Tsuru que pour son grand-père (qui ne l'entend même pas). La main dans la sienne a des chaleurs d'été. Et Robin, qui est-il ? Pour ne pas se laisser bercer sous le soleil.

Pourtant, maintenant que les rayons brillent trop fort, Robin se pince les lèvres. Car encore une fois, Tsuru fait mine de rien. Se cache sous le masque lumineux qu'il affiche toujours. Ou n'est-ce pas un masque ? Il souffle, secoue la tête un peu. Ne détache pas leurs mains, observe, d'ailleurs, les doigts qui se mélangent. « I do, though. And you have every right to be mad at me. Or even just... I don't know, be sad ? » Et la fin est prononcée avec une sorte de maladresse. Comme s'il finissait ses mots en se marchant sur ses pieds, manquerait de dégringoler la fin des escaliers. Il redresse le visage vers Tsuru, cette fois un peu moins effrayé par ses propres mots. « I would be mad, if I was you. » Et c'est ça, qui le surprend chaque fois. Combien ils sont différents. Combien d'eux deux, Robin serait certainement celui qui éclaterait à chaque fois. Pourtant, lui-même prenait déjà assez sans bouger le petit doigt. « I'm not just here for the flowers and you know it. I just wish... We could talk. » Parce que peut-être que Tsuru n'en a pas envie, mais Robin a trop à dire. Et ça menace chaque jour de déborder. Sur Neela, sur Gaia. Sur Kayn, peut-être, si seulement il en avait le courage. Mais comme il n'en a pas l'occasion, il commence par le plus facile.