blind souls. (inhyuk)

(…) but the oldie almost screamed when she saw me and – you don't listen to me. Les paumes pressées autour de ta tasse de thé, pas vraiment perturbée par la rencontre des températures entre le breuvage et la chaleur s’immisçant par la fenêtre ouverte, tu écoutes sans entendre ses aventures de la nuit passée. T’as le regard vague, perclus au-dessus des ondulations de l’ambroisie à la flocombe – le reste n’est qu’un fond sonore d’entre les réminiscences d’une île affairée et les chuchotements sourds d’une maison qui s’éveille. Shilo se redresse en soupirant, dans un raclement des pieds de la chaise. Tout un tas de claquements accompagnent ses gestes, manifestent les clameurs d’un frère pataud – mais tout ce que tu perçois, ce sont les poussières d’un rêve encore trop réel. Les couverts s’entrechoquent dans l’évier, les tissus se déplient sur le corps en mouvement – mais derrière tes paupières se pressent les impressions d’une incohérence, d’un déjà-vu incommodant. Bonk! – l’éclat sourd d’une bouteille cognée sur ta tête interrompt les disgressions, avant d’être rangée parmi d’autres dans la fraîcheur du réfrigérateur. Hm. L’une de tes mains s’égare distraitement au sommet de tes cheveux comme pour effacer une douleur fantôme, tandis que l’autre se repose sur le dossier de ton siège pour accompagner ton mouvement. À peine retournée que les grimaces respectives s’entrechoquent et que tu promets d’un regard en l’air de ne pas être en retard à la nuit tombée. Shilo – Yea? Do you know a big dark mangetsuki? Shilo disparait presque dans l’entrebâillement de la pièce, pourtant ses pas se retiennent – ses gestes se suspendent en l’air. Pour peu, tu pourrais presque entendre son souffle se mettre en pause dans les bruissements entre vos corps. I mean, tes sourcils se redressent et tes prunelles scrutent les siennes, cherchent un accord, un signe que, de toute évidence, rien n’est vraiment que songes. A really massive black wolf with eyes redder than a lycoris? Tes mots effleurent légèrement les doutes mais deviennent lourds sur les derniers mots, sur l’importance d’une couleur dont même les rêves ne s’accommodent pas. Bien éveillée et pourtant, pourtant deux prunelles grenat hantent encore tes pensées – s’appuient à l’orée de tes regards. No. La réponse est rapide, laconique – et la syllabe sans appel, ne souhaite poursuivre ce chemin. Tu le dévisages – tu observes cette manière de se soustraire à ta question, à ta présence ; ces doigts qui se pressent contre l’embrasure, assez pour faire craquer le bois, et s’entendre pour quiconque mesure les bruits insonores emportés dans les courants d’air. I mean, not really, un haussement d’épaules, mais ce regard qui jamais ne s’accroche trop longtemps à tes améthystes. We all look a bit alike. Why? Une moue se glisse sur tes lèvres, peu convaincue – mais loin de vouloir insister. Tes épaules se font écho aux siennes, l’espace d’un instant, et scellent la conversation. A dream. Tu te redresses tranquillement, abandonnes toute quête vaine d’avance. Ok. Tu perçois son regard abandonné sur tes épaules, maintenant qu’il est plus simple d’affronter ton dos. Les silences s’emmêlent, lentement, mais rien de plus n’en ressort. See you tonight! Ses pas s’éloignent et emportent avec eux, l’étrange poids survenu dans l’atmosphère. Hm! L’eau s’écoule entre tes doigts mais pendant que tu changes le contenu du vase, tes pensées s’accrochent déjà au soir – et quand tu replaces les fleurs de jasmin devant la fenêtre, tu n'appréhendes que la pleine lune encore discrète derrière les nuages.

Les mains dans les poches, tu observes les cieux – une super lune ce soir, parait-il, qui déjà s’aperçoit. Tout un poids à l’ombre d’un regard qui pourtant ne se perçoit pas ; qui, pourtant, alourdit tes pas. Tes lèvres se pincent entre les dents, ces mêmes-là flinguées d’être trop mordillées. L’attente est longue, lourde – poisse d’une envie qui n’est pas là. Ne l’est jamais. Mélancolie flanchée entre les omoplates, jamais réellement soustraite à ces transformations devenues ordinaires. Une pression s’exerce contre tes tempes, contre tes côtes ; le squelette éprouvé dans une transformation imminente, qui quémande, qui gratte contre la surface. Ta tête roule sur les épaules, cherche à s’accommoder d’une gêne croissante – et s’évapore un instant, quand Andrea apparait enfin sur la plage. Quelques secondes, seulement, avant que les pupilles sanglantes n’apparaissent derrière sa silhouette, dans vos pas, dans les ombres.

Les éthers s’effleurent à la surface des crins argentés, dispersent les gouttes moites d’un été lourd – et emportent avec eux, les vestiges des angoisses. Plus rien n’existe sous les astres que les foulées synchronisées des bêtes délivrées, que les inspirations partagées des mauvais grés. Les rayons de la lune percutent son pelage sombre comme on capture un spectre dans la lumière – des nuages blancs s’échappent d’entre ses babines à la mesure de ses souffles. Tu secoues le museau, (pour)chasses les réminiscences de ces songes. Des heures que la nuit passée n’est plus, que le matin s’est déchu, que la journée s’est tue – des heures que les cauchemars demeurent. Dans les appréhensions d’une veille mortuaire, dans les douleurs d’une transformation funéraire – jamais jamais jamais ne s’échappent les plaies de ce regard, de ce rouge désagréable. Les oreilles plaquées vers l’arrière dans les foulées toujours plus rapides, plus souples, à la recherche de quelque chose, de quelqu’un, d’une proie – ou d’un trou noir. Shilo se calque sur ton rythme, ne cherche pas à prendre les distances. Personne n’est vraiment très loin mais lui, particulièrement, ne lâche pas tes basques. Ses prunelles fauves veillent sur les tiennes constamment, comme par crainte que tu disparaisses – que des fantômes ne t’emmènent trop loin. De son pelage sombre comme les nuits noires, les nuits sans étoiles, la bête ne devient qu’une au milieu des arbres, dans l’ombre des sommets, dans l’ombre des damnés. Tu souffles, d’une plainte silencieuse – et tu grattes la surface, par besoin de faire disparaître ces sensations, ces gênes. Cette impression que tout n’est là, qu’à la croisée d’un chemin de croix. Et il ne te faut qu’une poignée de secondes, rien de plus que des appels chassés par les vents, qu’une lune dissimulée derrière les nuages – rien de plus qu’un zurō qui s’en retourne au reste de sa meute, pour que tu disparaisses. Comme ça, comme on claque des doigts, créature maudite non pas moins silencieuse au milieu des horreurs – et tu cavales rapidement, encore et encore, toujours plus loin, vers l’incertain. Les iris écarlates dévisagent les siens, les autres, les silhouettes qui s’amassent devant en bien comme en mal, pourchassent des chevreuils, des créatures difformes, des fantômes et des – silences. Le regard anathème est là, entre les conifères étrangers au moindre mal qu’ils camouflent des autres et des traquenards.

Les secondes se retiennent en mouvement – et même les étoiles, quelque part, dégringolent lentement. D’une course immobilisée ne demeure qu’une louve réservée, camouflée entre des bosquets. Des buées s’échappent de tes naseaux dans la clarté des rayons lunaires – de ces mêmes éclats qui t’appellent, t’hypnotisent, à quelques mètres de là. Des rubis étincelants bien plus que les songes ne l’accordent vraiment. Toute existence disparait de tes sens – ne reste que cette créature indifférente, inconsciente certainement, de ta présence. Le loup de tes mauvais rêves – et des regards dérobés de ton frère. Une attraction nouvelle se creuse dans tes pensées assiégées, comme des aimants maintenus éloignés trop longtemps – et se manifeste dans l’échine parcourue d’un frisson. Les minutes s’étendent, se suspendent – rien que quelques secondes ou des heures, tu ne saurais dire vraiment. Tu attends, simplement. Paralysée, attirée. Bousculée. Envies dispersée loin du Mont Hyōri – loin des meutes qui, peut-être, vous cherchent tous deux. La créature s’étire doucement, se redresse, semble abandonner son poste d’observation – ou de repos. Dans les échos de la forêt, tu en fais de même – tu emboîtes son pas, de loin. Ton corps s’est affaissé sans t’en rendre compte, dans le poids d’un autre meneur. Au fond de toi, tu crois percevoir ce que ton frère a préféré taire ; tu vois, pourquoi dans ses silences il en a fait son affaire. Vos foulées s’accompagnent silencieusement, en parallèle au milieu des sapins – tu restes en retrait de quelques mètres, ne voudrais qu’il intercepte ce qui s’apparente désormais à une chasse. Quelque chose te dit qu’aussi bien il n’en aurait rien à faire, il n’en reste pas moins une menace austère. Tu observes le loup dans ses mouvements, ses répétions, ses propres observations – comme si tu prenais note, mentalement, de faits banals qui n’en sont pas tant que ça. Tes muscles se pressent contre la terre dans les regards qu’il relève, et tu retrousses les babines quand de trop près il se rapproche – mais le grand monstre ne s’attarde jamais, ni dans un endroit, ni près de toi. L’envie est toujours plus grande de s’en approcher, et la lutte toujours plus douloureuse de s’en éloigner. Des plaintes silencieuses assiègent tes poumons transformés, se targuent d’être malmenées. Tout, tout, s’accroche entre ses poils sombres – tes pensées, tes sens, ta conscience. Son appel est aussi muet que les ombres et pourtant, tu l’entends. Tu pourrais reconnaître son hurlement sans jamais l’avoir entendu auparavant. Ce n’est pas qu’un mirage – mais un constat. Une plaie, contre ton estomac, qui se réveille. Des impressions qui se marquent de retrouvailles. Le mangetsuki s’immobilise avant que l’autre bruit ne te parvienne aussi – les renflements d’un nouveau hurlement prennent de l’ampleur entre les arbres denses. Shilo t’appelle, mais ce n’est pas son cri qui t’interpelle – c’est l’éclat dans le regard cramoisi de l’autre diable. Ce même regard qui se pose sur les buissons soudainement agités de les avoir précipitamment quittés, certainement sans te voir, mais pourtant toujours derrière toi. Il est des impressions familières planquées entre ses prunelles vauriennes qui te brûlent même dans tes pas déjà loin – et une amère certitude, que l’histoire n’en est qu’à son début.

Il aurait adoré savoir qu’il tourmentait ses rêves, se serait délecté du camaïeu d’émotions que son apparition provoquait chez elle. Mais Inhyuk ne se doute de rien ; cette nuit est comme toutes les autres, drapée de nuit et de sang, les pelages baignés d’une lumière incandescente.
L’attente n’est pas — il ne laisse jamais l’occasion à la pleine lune de se montrer pour se transformer, trop empressé de sentir le pouvoir de ce que lui a toujours considéré comme une bénédiction. C’est de famille. Inhyuk trépigne en silence de ces sensations-paradis, même s’il ne montre jamais que sa patience et son indifférence. Mais au fond, il compte les secondes qui le séparent de cette forme chérie, contrairement à d’autres. C’est peut-être qu’il a oublié ce que ça faisait, de se sentir loup vulnérable, trop habitué à aligner les cicatrices plutôt qu’à les compter ou les éviter. C’est de famille.

Allongé sur un rocher surplombant la montagne, il attend, les oreilles attentives mais le corps détendu. Dans le silence assourdissant de l’avant-nuit, certes parasité par les bruits de la forêt, Inhyuk se fait empereur mangetsuki sans sujets, tout autant à l’aise dans la solitude du crépuscule. Sa meute ne tardera pas à le rejoindre, transformée par l’astre, mais il profite de ce tête-à-tête mensuel avec la montagne, de ce sentiment ultime de puissance qui nourrit son égo, galvanise son assurance. Les pensées se font vite tumultueuses, saturées des autres loups désormais transformés. Mais le zurō ne bouge pas, commande mentalement une chasse qu’il rejoindra dans un instant. La nuit finit par tomber et le couvre de son manteau avec une tendresse qu’Inhyuk reconnaît apprécier : il disparaît, le pelage noir qui se fond avec le décor, les prunelles acides comme seul couperet de son ombre, comme obstacle à son effacement entre les arbres. Il ne les tient pas de son père, ces yeux couleur sang ; sous sa forme lupine, le pater a les iris de jais, plus invisible que la nuit elle-même. Et quand il y pense, Inhyuk se dit que son père l’observe peut-être, parfois, camouflé derrière un nuage, un rocher, un buisson. Capable d’éviter les rayons de la lune pour ne se faire voir que s’il le décide - Inhyuk a passé des années à l’imiter, répétant ses gestes pour les maîtriser à la perfection. Se préparait au pire, toujours plus exigeant. Il n’avait pas regretté, quand il avait fallu se créer sa propre meute, irrémédiablement et définitivement seul.

Elle n’est pas aussi discrète, bien qu’il ne sache pas exactement ce qu’elle est, ni pourquoi elle se terre dans un buisson au lieu de se montrer. Non, correction ; au fond Inhyuk n’en a rien à faire, de cette odeur à peine familière, de cette silhouette qu’il ne voit pas mais dont il sent la présence - il a vite compris que ce n’était pas une menace, et ce qui n’en est pas ne l’intéresse pas, ce soir. Il ne prendra pas la peine de répondre aux questions que cette compagnie pose, ni même de les poser, d’ailleurs. Il se contente d’attendre le bon moment pour s’extirper de cette solitude apaisante, le regard perçant la nuit ; et lorsqu’il s’étire et se met à marcher, dans la direction opposée à sa cachette, il sait qu’elle le suivra, malgré tout toujours indifférent. Qu’elle la suive, si elle le désire. Lui s’est habitué à ne pas faire attention à la direction qu’emprunte le vent ; et elle n’est pour lui qu’une brise légère, qu’un souffle passant. Peut-être est-ce un loup solitaire hésitant, un loup sauvage sur le point de mourir ou un loup d’une autre meute perdu et trop faible pour le défier - tout sauf une menace.
Inhyuk sillonne entre les arbres d’un pas lourd et assuré, le souffle chaud qui se heurte contre la lumière de l’astre, les oreilles toujours aux aguets mais les prunelles qui ne dévient pas de leur trajectoire. Il marche tout droit, dans la direction de sa meute, aussi majestueux que dangereux.
Ce n’est que lorsqu’il entend son appel qu’il se suspend, forcé à écouter ce son qu’il abhorre. Sa tête se tourne d’un coup sec vers les buissons désormais vides, et à la place des questions qu’il n’a pas envie de poser ne résonne  plus qu’un nom, qu’un sentiment. Shilo n’est pas loin. Inhyuk repart vers sa meute avec un grognement amer, empli de haine et de ressentiment. En oublierait presque cette présence inconnue dans des buissons ordinaires, remplacée trop facilement. Cette nuit est comme toutes les autres.