⍖ undercover (senzo #2)

Dans l’obscurité d’un début de nuit, assise sur son balcon, Senri contemple les hauteurs de Eiyamachi. Silence uniquement rythmé par les claquements de portes lointains ou les clameurs de quelques fêtards un peu bruyants en contrebas, soulignés par les vrombissements de la ville au loin - les lueurs rougeâtres des lanternes labyrinthiques de Komeikyū enveloppent l’appartement aux lumières tamisées. Croque un coup dans son garigari-kun bleu soda, assise en short et en débardeur sous la chaleur moite d’un été qui approche.

Et puis, une lumière bleutée illumine le salon. Aveugle presque Senri quand elle se retourne, pour remarquer l’écran de son ordinateur, réveillé par une notification tardive. Who the fuck. Si Senri use et abuse de son téléphone ou de son dictagraphe au quotidien, son ordinateur portable reste un outil de travail sur lequel elle s’attarde peu, pas assez patiente pour le voir autrement. Et ses échanges électroniques sont limités à deux thèmes : le boulot, le dustquash… et ça.

Senri se hisse à quatre pattes sur le tatami vieillissant pour s’approcher de la table sur laquelle est posé l’ordinateur, pour jeter un oeil au message - sourcils froncés, garigari-kun presque terminé calé dans sa bouche pour libérer ses mains. L’envoyeur du message lui arrache un haussement de sourcils - et le contenu, encore plus. Les restes de sa glace sont vite gobés, alors qu’elle pose le bâtonnet sur la table et se hâte d’ouvrir l’email crypté, les joues gonflées par le sucre saveur limonade.

from: mountain10_1234@macom.co.jp
to: 1000310@macom.co.jp

• subject: ご招待
message:
中央光栄東3-11-2 昇天ホール31F
7月1日 18時から
白石カエル 様
ご同伴者1名様をお連れいただけます。

Le coeur qui bat de savoir exactement de quoi il s’agit ; de ce contact anonyme trouvé au fil de mois d’investigations dans les méandres du web magique, en quête d’informations. De témoignages. De personnes tout autant désireuses qu’elle de détruire l’empire de Yamato jusqu’à qu’il n’en reste plus rien. Elle a fait profil bas pendant cinq ans, Senri - a gardé ses enquêtes pour elle, soucieuse de ne rien ébruiter, de ne pas s’emballer sur des bribes de pistes, à crypter tous ses échanges, tous ses points de contact.

Et enfin - le sésame. Passe-droit vers un évènement privé de l’organisme venu de nulle part, miraculeux. La brèche qu’il lui fallait pour pousser ses investigations au niveau supérieur, et peut-être enfin mettre la main sur des preuves tangibles et valides en justice. Senri pianote une réponse à son indic, un simple remerciement formel, aussi impersonnel que leurs communications - et se retrouve face à une réponse automatique lui indiquant que l’adresse n’existe déjà plus, confirmant ce sentiment d’avoir enfin mis un pied dans l’engrenage.


Jour J.

Senri a peaufiné son identité fictive, pour l’occasion. Claque de ces talons déjà trop fins pour elle sur le bitume, plantée devant le conbini devenu point de rendez-vous avec son acolyte de la soirée. Les messages ont été brefs et efficaces.

JUNE 24TH
to たい
• july 1st, 5:30pm
JUNE 24TH
to たい
• we’re going undercover
JUNE 24TH
to たい
• dress nice

- et c’était à peu près tout.

Elle n’allait clairement pas se lancer là-dedans toute seule. Si c’est son propre combat, c’est trop risqué de s’y pointer seule, pour une simple et bonne raison de couverture. Elle se glisse dans la peau de ce faux nom jeté au hasard lors de ses communications avec son contact - et ça passe par un jeu d’actrice, des vêtements, mais aussi un entourage. Senri qui a toujours fait cavalier seul, jusque dans ses déboires publiques avec la secte, et venir accompagnée contribue à casser ce à quoi on pourrait s’attendre venant d’elle.

Bras croisés sur le petit sac en cuir, Senri tire sur la jupe de sa robe bien trop courte, avec bien trop de volants et de fleurs à son goût. Se prépare mentalement à devoir casser son naturel pour devenir le personnage secondaire de son cheval de troie - et le voilà justement, qui déboule clope au bec comme s’il s’apprêtait à passer la meilleure soirée de sa vie, contrastant avec l’expression concentrée et fermée de Senri.

Tire sur le col de sa chemise immédiatement, jetant un oeil autour d’elle pour s’assurer que personne ne puisse les entendres, avant de ronchonner. You’re lucky they love to suck up to any fucking sōgaka they run into, you could walk in there wearing a trash bag they wouldn’t say shit, grommelle-t-elle sans trop savoir si la tenue de Taizo est réellement inappropriée ou si c’est juste son stress qui la fait parler - si elle s’écoutait, ce serait probablement la seconde option. Et elle, dans sa petite robe fleurie, doit avoir l’air bien ridicule. Don’t fucking laugh- prévient-elle, alors que la tronche de Taizo semble prête à la vanner sur sa propre tenue en retour ; et ce serait de bonne guerre.

Elle ne s’est pas trop étalée en détails sur ce qu’elle essaie d’accomplir dans cette histoire, et c’est peut-être le moment pour exposer le plan à Taizo. It’s a few blocks down the road. That big-ass dick-looking tower. Claque une fois de plus des talons pour replacer ses escarpins correctement, pas à l’aise. It’s a private event. I’m on the guest list as “Shiraishi Kaeru” - don’t fucking laugh, I said! Alors que le prénom qu’elle a donné sonne synonyme de “grenouille”, forcément, elle aurait dû voir venir l’hilarité. Anyways. I’ll just pretend I’m there as a friend of a VIP looking into joining. Hopefully no one asks too many questions. If they start being nosey, you’re my cover, poursuit-elle en posant un index sur l’épaule de Taizo tout en continuant de marcher vers la tour. No way they’d grow suspicious about some silly and innocent-looking woman if she’s bringing in her sōgaka husband straight into the cultish wackos’ nest, right? Pas vraiment complètement sûre de ce qu’elle avance, mais c’est toujours quelque chose auquel se rattraper. My goal is to sneak out when I can and try to dig any dirt I can find in their office. I’ll need diversion and a little help. Et c’est dangereux, elle le sait - c’est déjà beaucoup qu’il ait accepté de la suivre sans poser de questions. And you get to eat and drink whatever they have on their snobby ass buffet. Any question? Ils arrivent dangereusement près des lieux, et il serait bientôt temps de revêtir son identité de couverture en approche de la tour et d’autres potentiels invités.

Naturellement, en recevant ses messages, il avait posé mille questions. Les réponses de Senri sont pourtant restées courtes et somme toute très vagues - faisant entrer Taizo dans une nouvelle spirale de frustration pendant laquelle il a retourné toutes les probabilités et possibilités que pouvaient impliquer cette mission undercover. Une semaine à jouer au ni oui ni non et à la chasse aux indices, bien vite interrompue par la menace de se bouffer une tarte dans la tronche s’il continuait son cirque – ça ne l’a pas réellement découragé, mais c’était suffisant pour garder du suspense.

Mais en réalité, le mystère n’est pas très épais. Même s’ils en parlent peu, Taizo n’ignore pas les préoccupations de Senri au sujet de sa mère, de son géniteur et de la secte. A la fois point culminant de ses diverses enquêtes et sujet tabou à aborder avec précaution. Ca fait des années qu’il la connaît, et Taizo sait pertinemment qu’elle n’aura de repos qu’une fois ses réponses obtenues et les tarés foutus au placard – arrêter les lavages de cerveau et épargner d’autres victimes.. (C’est p’t’être pas totalement vrai pour le repos, cela dit.)

Undercover. Taizo marche en direction du conbini habituel et il se sent déjà en mission d’infiltration, avec une dégaine pareille. Costume emprunté à son daron pour l’occasion, la chemise débraillé du pantalon, mais il sait pas la porter autrement. Ses godasses s’adaptent à sa démarche flexible et trop détendue pour un type qui se prétend agent secret pour la soirée. Arrivé aux abords du shop, il aperçoit Senri, dans une robe qu’il identifie de loin comme un motif léopard - ou chenipan, il hésite. good evening, granma. have you seen a– oH bY ThE oLd GoDs, iT’S YoU ??, s’exclame-t-il en mauvais acteur. Mais pas le temps de l’enchaîner sur plus de vannes qu’elle lui attrape son col froissé pour l’arranger sèchement. gee’ woman, not so eager in public…, il ricane de plus belle avec un sourire pervers. you could walk in there wearing a trash bag they wouldn’t say shit— Les gestes des mains de Senri sont pressés et, lui semble-t-il, inutiles. Elle s’active plutôt pour faire quelque chose de toute cette énergie qui grouille dans ses muscles et peine à être contenue fasse à la situation. Taizo assimile son état avec un recul étrange, qu’il tempère comme d’habitude avec un grain d’humour. easy on the compliments, missy, – congédie ses mains pour arranger lui-même le col qui l’a fait tiquer – i think my old man suit is quite in sync with the mood - judging from your choice of dress. D’un coup d'œil avisé, il détaille la tenue de Senri avec amusement – détonne complètement avec son style habituel, en plus de lui donner un air beaucoup trop coincé. don’t fucking laugh- - i would never. Une main en l’air, le coin de la bouche qui tressaute sous le rire qui lui chatouille la gorge, avant de sortir sa deuxième main de sa poche pour prendre une photo en balle. straight into my collection with the maid's one.

Dans un claquement de talon théâtral, Senri lui explique finalement le plan – ou du moins, l’amorce de cette mission. Elle lui indique une tour monstrueuse qui lui flanque soudain le vertige. Pas grand admirateur des buildings et de la ville, la jungle urbaine file à Taizo des airs de tombeaux urbains. Et alors ceux qui zonent dedans, c’est encore pire. lovely. - it’s a private event. i’m on the guest list as “shiraishi kaeru”– - WHAT - don’t fucking laugh, i said! - i want a stupid name too. i’ll go as watanuki, and everytime i introduce myself, i take off a cloth. i’ll say it’s part of my cult– Et le taquet finit par tomber, rien de tel pour revenir sur l’essentiel. anyways. i’ll just pretend i’m there as a friend of a VIP looking into joining. - you got a name for that friend ?, reprenant son sérieux pour se concentrer sur les éléments, il se frotte l’arrière du crâne. hopefully no one asks too many questions. if they start being nosey, you’re my cover, conclut-elle en posant un index sur son épaule. Cette fois, Taizo devient suspicieux. how’s that ? - no way they’d grow suspicious about some silly and innocent-looking woman if she’s bringing in her sōgaka husband straight into the cultish wackos’ nest, right? Et soudain ça fait tilt. waiwaiwaiwaiwait- i’m your husband, now ? L’air concerné et soucieux qu’il affiche est brusquement remplacé par un sourire intéressé. we need to dig into the lore of this cover, darling.

Mettant les conneries de côté, Taizo enregistre les informations en même temps qu’ils se rapprochent de plus en plus de la tour. Ca fait peu de temps pour assimiler l’ambiance, un rôle et un objectif à ne pas perdre de vue tout en servant une soupe de mytho aux autres invités sans se faire cramer. Mais les mensonges et la comédie, ça le connaît. any question? Dans un éclair de réflexion, Taizo fait le tri parmi toutes celles qui lui passent par la tête. yeah – we should have a code if something goes wrong. like someone becomes suspicious, or one of us needs backup. Dans ces moments troublants où les turbines tournent à plein régime derrière son crâne et que ses yeux dorés se perdent dans des calculs invisibles. like maybe- sending a toast, from afar. eyes in the eyes. so we won’t need to say anything. also, il poursuit, if you’re asked and i’m not with you : i’m shiraishi genzō and i’m a consultant. you ? aside being silly and innocent with questionable dressing-taste ? Bien vite, leurs échangent descendent dans les tons, pour se faire murmures privés à l’apparence d’un couple qui échangent quelques mots sans déranger, alors qu'autour d’eux les autres invités se font plus nombreux.

L’instinct en éveil, Taizo laisse Senri guider leurs pas à l’entrée du bâtiment et passer l’étape du listing des convives. Elle est étonnante dans son rôle et s’y plie si bien qu’il n’a d’autre choix que de la suivre comme s’il l’avait toujours connue ainsi. L’atmosphère le surprend dans ce que les gens dégagent autour d’eux - connectés à une réalité alternative, flottants dans des paroles abstraites accompagnés de sourires trop lisses pour être sincères. Sonder ces mages ne lui renvoie que des sensations vagues et brumeuses, tout au plus une identité par couleur ou un surnom lié à la secte pour certains. is anyone of them some “higher” personality ?, il marmonne pour Senri en essayant de distinguer les partisans, les nouveaux adhérents et les têtes d’affiches de qui il préfèrerait se tenir éloigné.

Forcément, saucissonnée dans ses froufrous à motifs, ça risquait pas d’échapper à Taizo qui se fout audiblement de sa gueule dès qu’il arrive assez près pour constater l’étendue des dégâts. Senri lève les yeux au ciel et le laisse brailler, secouant légèrement la tête en silence - elle n’a pas grand chose pour le contredire, sapée comme ça. Yeah, yeah, right, râle-t-elle, avant de lui faire les gros yeux. You good? Nothing else? Provocation qui lui échappe malgré elle en guise de mécanisme de défense, dans une dynamique familière qui n’arrive cependant pas à masquer sa nervosité. Et elle lui renvoie la balle, réflexe naturel qui lui vient sans efforts depuis vingt ans. I think my old man suit is quite in sync with the mood - judging from your choice of dress, réplique Taizo, toujours hilare. We’ll say we’re from Osaka so nobody questions the weird drips, rétorque Senri avec un sourire moqueur en coin - au moins, quand il s’agit de tacler les autres régions du Japon, ils s’entendent rapidement. Et lorsque l’autre brandit son téléphone en se marrant, évoquant la photo interdite précieusement gardée depuis des années, Senri lui décoche son meilleur doigt d’honneur.

Trève de chamailleries - le plan n’est pas très rodé, trop d’inconnues à l’équation de cette mystérieuse soirée. Senri n’avait pas pu obtenir plus, alors qu’être inscrite sur la liste des invités était déjà une avancée exceptionnelle. Taizo ricane face à ce faux nom - idiot, certes, mais juste assez pour passer pour un nom de scène d’artiste prétentieux ou un prénom excessivement original d’enfant de célébrité. I’ll go as Watanuki, and everytime I introduce myself, I take off a cloth. I’ll say it’s part of my cult– Senri le coupe en calant un léger taquet derrière la tête, sans pour autant cesser ses gloussements. No fucking public nudity! tranche-t-elle, avant d’élaborer (comme si c’était bien nécessaire). They called the cops on me once, you’re not gonna get them to do it twice. Son plan de balancer le nom d’un VIP n’est pas complet, et face à la question de Taizo, tout à fait légitime, Senri pince les lèvres nerveusement en croisant les bras sur la poitrine. So there’s two way we can go about it, commence-t-elle, avant de lever un index. Eavesdrop and throw a random name we hear from someone else… (majeur levé à son tour) ...or just go for something generic as shit. Like, Tanaka, or Satō. Ils ont forcément un de ces noms dans leur liste d’invités, VIP ou larbin à la con, c’est obligé. Deux plans qui se valent question risques.

Autre question à élucider - celle de leurs fausses identités, que Senri a commencé à cogiter à partir du moment où elle avait décidé d’embarquer Taizo dans ce plan foireux. Sōgaka légitime en plus de la connaître sur le bout des doigts et d’être son ride or die - elle se devait de compléter le tableau pour que leur infiltration soit impeccable. Détails sur leur fausse relation incluse, qui interpelle évidemment Taizo - toujours là pour tirer avantage des bons plans. Waiwaiwaiwaiwait- I’m your husband, now? Vu sa gueule, il a l’air soit ravi, soit très diverti par ce détail - et dans les deux cas, ça n’a pas l’air de déranger, le plan est donc validé. You’re the gifted one, not me, explique Senri en fronçant les sourcils, comme si l’explication était évidente. If they want to keep you in somehow, I need a way to keep you on a tight leash. Question de sécurité, tout comme un bon moyen de s’assurer qu’ils se tirent de là à deux - si les choses dérapent et il venaient à être séparés durant la soirée, réclamer son époux.se semblait bien plus simple à expliquer qu’un.e simple ami.e.

We need to dig into the lore of this cover, darling. Tsk. Senri claque la langue en lui jetant un regard suspicieux, bien que légèrement amusé, et peut-être un peu rassurée que ça semble le pousser à peaufiner ce plan idiot. As i was saying. You’re the gifted one. And there’s only one other thing for us to blend in… poursuit Senri, pour continuer sur les détails de leurs persona pour un soir. So I’ll be the one with money. Il n’y a que deux langues que les membres de la Yamato Witchcraft and Friendship Society parlent couramment - le pouvoir, et l’argent. Let’s say my dad owns a bunch of shinbō mines in central Africa and we’re here thanks to one of his business partners’... brother, or something, continue Senri en tissant son mensonge au fur et à mesure qu’ils approchent du bâtiment. As for everything else… Elle lâche un soupir, ne sachant plus à quoi s’attendre au moment où elle ouvrirait les vannes des possibilités. Fouille dans son sac pendant une seconde de pause, pour en sortir une fausse alliance, assortie à l’énorme (et très faux) diamant sur sa main. Just enjoy your time, honey, réplique-t-elle à Taizo en lui calant la bague au doigt avec un sourire sarcastique. Ça, pour s’amuser et tirer bénéfice de la situation, elle lui fait entièrement confiance - pour une fois qu’il a carte blanche, qu’il en profite.

À mesure qu’ils avancent, les passants se font plus réguliers - et Senri comme Taizo baissent le ton, à marcher en silence dès qu’ils passent à hauteur de quiconque pourrait les entendre. We should have a code if something goes wrong. Like maybe- sending a toast, from afar. Eyes in the eyes. So we won’t need to say anything, continue Taizo, visiblement complètement embarqué dans sa mission. Senri hoche la tête, en accord avec la suggestion, avant que ça ne lui rappelle quelque chose. Oh, shit, yeah, I almost forgot, lâche-t-elle doucement avant de fouiller dans une autre poche de son sac à main, pour en sortir deux oreillettes émettant un halo magique nacré. Just so we make sure we can hear whatever the other says at any time, explique-t-elle en donnant une oreillette à Taizo, puis glissant la sienne dans son oreille droite - et une fois calée dans le conduit auditif, l’appareil se fond parfaitement avec son teint, complètement invisible. Although because of the invisibility spell, the range is kind of shit, so the toast thing is a good back-up plan, ajoute-t-elle finalement pour valider l’idée.

Et malgré les plaisanteries sur ce mariage factice, ils ont bien évidemment oublié l’essentiel de leurs rôles respectifs. Taizo fait marcher son cerveau, confirmant à Senri ce qu’elle savait déjà - il ricane beaucoup, mais dans ce genre de plans, c’est le partenaire idéal. Also, if you’re asked and i’m not with you : I’m Shiraishi Genzō and I’m a consultant. Senri marque une pause, pour lui jeter un regard surpris, un peu amusée. Consultant? Une seconde lui suffit pour comprendre le génie du concept. Yeah that’s a good way to come up with any type of cryptic bullshit and still sound legit, I guess, finit-elle par commenter avec une moue approbatrice. You? Aside being silly and innocent with questionable dressing-taste? Me? Senri baisse la voix lorsqu’un groupe les dépasse, la tour approchant dangereusement - et elle aussi, se rapproche, pour attraper le bras de Taizo avec ses deux mains. …I give yoga classes and sell high-end dietary supplements to all my rich mom friends, of course, glisse-t-elle à voix basse - avant d’afficher sa meilleure duck face pour parler plus fort, non sans un petit twist. But you know daddy’s money is way enough to keep us fed and entertained~ minaude finalement Senri d’une voix excessivement nasillarde de aigües, dans sa meilleure interprétation burikko. Masque factice de femmes qu’elle a trop souvent côtoyées, expertes dans l’art de se faire passer pour ingénue pour attirer l’attention des hommes en feignant une innocence excessivement enfantine et naïve. Senri a horreur de ça, et Taizo sait très bien tous les efforts que ça lui coûte de jouer ce rôle. Also, I get drunk very easily, glisse-t-elle finalement plus bas de sa voix normale. Ça, par contre, c’est un rôle qu’elle a hâte de jouer.

L’ascension jusqu’au hall est silencieuse. Accrochée à Taizo, plantés dans l’ascenseur de la tour avec d’autres invités - la prise sur son bras semble aider Senri à se calmer, même si ça ne suffit pas à calmer sa jambe gauche qui tressaute malgré elle. Portes qui s’ouvrent sur la réception, inspiration - et Senri se présente en premier lorsque leur tour arrive face à l’employé en costume avec la liste des invités. Good evening, sir, entame Senri avec un large sourire, d’une voix aigüe, à papillonner des yeux comme pour paraître la plus pétillante possible. We’re expected, Shiraishi Kaeru- and my husband, continue-t-elle en appuyant sur ce dernier mot en glissant un regard dégoulinant à Taizo en posant sa deuxième main, ornée du faux diamant, sur son bras. May I have your business card, Mrs. Shiraishi? Senri semble hésiter une demi-seconde, avant de se rappeler que c’était quelque chose qu’elle avait bel et bien prévu - et fouille dans son sac pour présenter une carte de visite blanche, ornée de beaucoup trop de dorures prétentieuses, de ses deux mains, de la manière la plus formelle possible. Patiente en silence que le réceptionniste leur donne le sésame, sans que son sourire ne la quitte, presque figé, glissant quelques oeillades discrètes à Taizo. Thank you. Everything is in order. Have a great night, and may our friendship bring you peace and absolution, finit par expirer l’employé après un silence qui a semblé à Senri durer une éternité. Et lorsqu’on leur indique l’entrée du hall, finit par souffler un peu.

La porte qui mène au hall est grandiose - faite de marbre et de dorures, donne le ton sur la vision qui s’offre à eux en entrant sur les lieux tant convoités. La pièce est immense, tout autant que la hauteur de plafond - d’un bleu nuit, ponctué de petits puits de lumière stratégiquement placés pour éclairer les décorations des lieux. C’est peut-être le plus frappant, outre le luxe des lieux et des matériaux qui le composent - ces quatre piliers de marbre lisse, placés dans la pièce et ornés de portraits gigantesques de l’héritier Yamato, illuminés par la lumière perçant du plafond. Quatre effigies de leur gourou actuel - et un cinquième, au fond de la pièce, dont l’image est encore indiscernable.

Senri observe en silence - se rend compte que leurs tenues semblent bien ridicules, comparées à la majorité des invités, bien que certains rares disciples soient vêtus plus modestement. Note la disposition de la salle. Les deux couloirs, de chaque côté opposé du hall - l’un vers les toilettes, l’autre vers les cuisines et un ascenseur réservé au personnel, uniquement accessible avec une sorte de badge. Les employés de salle, en costumes noirs, remplissant les flûtes de champagne des convives dès que leur niveau leur semble dangereusement bas.

Imprime les informations sans rien dire - avant que Taizo ne rompe le silence. Is anyone of them some “higher” personality? glisse-t-il, toujours à son bras. Senri observe un instant, avant de se baisser légèrement pour lui répondre, sans quitter son masque au sourire naïf. Watch out for those wearing white robes, constate-t-elle, tout en recoupant avec les quelques informations glanées dans les vestiges de l’appartement de sa mère. They have a more prestigious rank, they’re usually gaka-kei mages… Et comme pour allier le geste à la parole - prend soin de verrouiller son esprit, concentrant la Poussière sur ses propres tempes. Sōgaka wear gold rings. They’re their favorite- ajoute-t-elle avant de glisser un regard en coin à Taizo. Clairement son meilleur alibi et excuse pour s’infiltrer dans cette mascarade, elle n’aurait pas pu faire mieux.

Avançant lentement, Senri étend son bras pour saisir une flûte de champagne présentée par une serveuse, la remerciant avec un large sourire excessif, alors que Taizo se sert de son côté également. Elle lâche son bras une seconde, pour lui faire face, les yeux glissant çà et là pour analyser les détails. So you know… commence Senri, avant de faire un léger mouvement de tête vers un des couloirs. That’s my goal. L’ascenseur de service. Son passage direct vers les informations compromettantes potentielles. I’m not sure I’ll find much here. It’s mostly going to be pretentious assholes and rich gullible idiots playing pretend with champagne glasses, commente-t-elle à voix basse, se rapprochant un peu plus pour éviter quelqu’un passant dans son dos. I need to find a way into their office upstairs… Ne semble pas remarquer ses mains tremblant comme des feuilles, secouant légèrement les bulles du champagne dans son verre - alors que Taizo est sans doute témoin d’une de ces très rares fois lors desquelles Senri se laisse aller à assez de stress pour ne même plus savoir par où commencer.

Ils ne sont pas très différents des gamins qu’ils étaient avant. Avant la chute dans le monde trop grand, vaste et décadent où ils se sont démenés pour devenir adultes – toujours les mêmes essayant de nager à contre-courant. Senri et Taizo sont des meneurs de parades, ceux qui transportent les éclats de rire, foisonnant d’idées toutes plus pétées les unes que les autres. Amateurs de spectacle, parlant couramment les mensonges et atteint par la conneries – personne ne leur a appris à se jouer des masques et à changer de costumes au gré de leur journée. C’est simplement inné, pour ceux qui voient le monde trop grand, vaste et décadent, comme un terrain de jeux.

Le théâtre, lui, a beaucoup changé et les mises ont doublé. Les acteurs jouent parfois leur vie, quand ils ne se sauvent pas à tour de rôle de leurs péripéties. Une constante qui n’a pas bougé cependant, c’est ce duo inséparable. Tous les deux en heures de colle, tous les deux en soirée folles – tous les deux qui s’engrouffrent dans l’antre d’une secte puissante avide de nouveaux cerveaux à contaminer. En tête d’affiche, on les appellera Genzo et Kaeru, identité feintée. Les acolytes sont préparés à tout – surtout à improviser. Et c’est ainsi que le film est lancé, quand Taizo assimile attentivement les dernières infos de leurs portraits.

(if they want to keep you in somehow, i need a way to keep you on a tight leash. La réalité revient le frapper de plein fouet, considérant l’éventualité où son don, un appât majeur pour leur infiltration, pouvait risquer de le mettre en danger. Le sentiment poisseux d’être une proie qu’on voudrait attirer dans des filets par n’importe quel leurre l'écoeure. makes sens. L’exercice de mari et femme se voile partiellement de soupçon, à la fois rassuré par cette solution et dérangé par sa nécessité. Une appréhension que Taizo dissimule avec une vanne, comme toujours. i’ll be the one with money. - jackpot, réplique le fils de tanuki en serrant son poing comme une victoire. we’re gonna rule the world, baby. Il s’y voit déjà, la fortune étant toujours si simple à fantasmer dans son esprit taré : avachi comme une jeune mariée dans les bras musclé de Senri qui surfe sur un rouleau, lunettes de soleil sur le nez et cocktails entre les orteils. Vivement la retraite. let’s say my dad owns a bunch of shinbō mines in central Africa (...) Il la laisse poursuivre sans la quitter des yeux, absorbé par le récit de cette entreprise d’un autre continent qui fera pâlir d’envie les invités gaindés. that’s brilliant. Les mots lui échappent d’une voix évasive, contemplant avec sincérité la charpente de ce plan qu’elle a ficelé pour la soirée. Lorsque vient le moment de lui passer la bague au doigt pour ne manquer aucun détail, le visage de Taizo s’étire de son air le plus émerveillé, avant de tendre la main devant lui pour admirer une alliance pourtant très banale. it’s the best day of my life !!, il couine aussi fort que son chuchotement le permet, ventilant ses yeux humides de ses plus grands talents de comédien. Ils n’ont plus que quelques pas qui les séparent de l’entrée, avant de devoir plonger dans leur rôle et rester en apnée le reste de la soirée. i give yoga classes and sell high-end dietary supplements to all my rich mom friends, of course, précise Senri sur le même ton de confession. Pas le temps de souligner qu’il adorerait assister à un cours, que la folle-dingue part en roue-libre dans son interprétation. ut you know daddy’s money is way enough to keep us fed and entertained~ C’est douloureusement précis, dans une imitation trop juste de toutes ces pouffiasses dont ils se sont toujours foutu en boîte. Taizo ne manque pas de lui donner la réplique, naturellement. i know beloved, but you’re the best for still being your own girl boss. you’re working so hard for women well-being, you’re a true inspiration. Débit d’un discours galvanisé par la bienveillance aveugle d’un époux-fan inconditionnel. Elle a la thune ; il ne peut que l’encourager à être une merveilleuse femme oisive. also, I get drunk very easily, ajoute-t-elle dans un dernier élan avant qu’ils ne soient avalés dans l’immense tour. is she telling me like i don’t know, or is it supposed to be a part of the play ? LOL)

Aucun d’eux n’est coutumier de ce genre d’évènements où l’on scrute les apparences autant que les faux-semblants. Peut-être Senri en a davantage l’expérience, de ses voyages et de ses enquêtes qui l’ont fait côtoyer tant de monde et un panel de situations étranges. Le silence est l’arme de choix pour affronter l’ignorance. Sans un mot, ils suivent le chemin qu’on leur indique, se fondent à l’amas d’invités qui se déplacent, imitent les directions et font l’effort de se tenir droits – mais surtout, ils ne s’éloignent pas l’un de l’autre. Physiquement. Senri reste agrippée au bras de Taizo pendant tout le trajet, tant et si bien qu’il sent sa prise réchauffer à travers sa veste. A défaut de savoir ce qu’il fait, Taizo se laisse balader avec plaisir, feintant la confiance de celui qui s’impatiente de trouver un lieu familier. Fake it until you make it est une devise qui a toujours eu son effet. Les premiers échanges avec le microcosme sectaire se délient d’un naturel insoupçonné. Allant des sourires complices aux mimiques frauduleuses, tout est paramétré pour s’emboîter. Taizo est le seul à pouvoir remarquer les légers tics nerveux de Senri, de ses coups d’oeil réguliers à son agitation que n’importe qui d’autre prendrait pour de l’enthousiasme. Thank you. Everything is in order. Have a great night, and may our friendship bring you peace and absolution. Les yeux dorés de Taizo se plissent sous une risette polie, main sur le cœur, vite dissimulée par une brève courbette du couple d’acteurs. Après s’être un peu éloignés, il entend un soupir de soulagement de la part de Senri, lui posant distraitement une main encourageante sur celles qu’elle garde verrouillées à son bras.

Dès qu’ils sont à l’intérieur, l’immensité de l’espace laisse Taizo perdu dans sa contemplation. Ses yeux vagabondent du sol au plafond, l’obligeant à se tordre le cou pour en admirer la hauteur, presque ébloui par ces puits de lumière qui fendent la voûte. Le décor lui évoque un temple d’un autre temps, d’un ailleurs qu’il n’a jamais visité. Le sentiment de vide face aux échos qui se répercute en murmures. Les visages sont aussi abstraits que l’atmosphère, et il ne s’attarde pas encore à les décrypter, préférant s’imprégner d’abord de l’essence des lieux. Les grands portraits sont ce qui retiennent le plus son attention, interpellés par la puissance qu’ils dégagent. Quelque chose qui soulève les ombres et dissimule de plus pesants outrages. Il sent que ce sont ses sens qui les étudie, et non plus ses yeux. Quelqu’un passe devant son champ de vision et interrompt ses observations, reprenant conscience des présences qui l’entourent. watch out for those wearing white robes, anticipe Senri tandis qu’une de ces robes traverse la salle devant eux. they’re usually gaka-kei mages… Son esprit sera sondé, c’est une fatalité à laquelle Taizo se prépare automatiquement, tâchant de rester vigilant. Un sortilège informulé pour se parer d’une résistance supplémentaire, qui lui indiquera en plus de son propre don si quelqu’un essaie de s’immiscer dans ses pensées, ou de jouer avec son libre-arbitre. sōgaka wear gold rings. They’re their favorite- De toute évidence. Cette particularité est chère à son peuple pour les mêmes raisons : messagers des esprits et des dieux, détenteurs du troisième œil pour veiller à l’invisible sans le manipuler. En théorie.

Après une profonde inspiration, les deux époux d’un soir se frayent un chemin dans la réception, jusqu’à croiser la route d’une serveuse qui se déleste à chacun d’une flûte pétillante. Taizo considère la liqueur, et plutôt que de craindre perdre sa lucidité, il en avale quelques généreuses gorgées pour se détendre. so you know… that’s my goal. D’une œillade entendue, elle lui désigne un couloir où se dérobe une porte d'ascenseur. Entretenant son attitude composée et tranquille, Taizo l’écoute en tissant sur le fil de ses mots diverses hypothèses et stratégies. we need to find someone willing to take you there. Il effleure le classique et facile plan de séduction, compromis par leur couverture d’époux. otherwise, when the time’s right, i’ll be a distraction to give you an opening. Le genre de plan qui ne fonctionne qu’une fois, avec une seule chance de réussite selon des paramètres indéterminés. Le tout pour le tout, en cas de dernier recours. for now–, reprend-t-il doucement, let’s meet the guests. i can feel suspicious gazes toward us. Leurs voix-basses et la timidité de leur arrivée suscitent déjà quelques curiosités à leur égard, encore farouches et inoffensives. La conquête sociale est indispensable pour tuer les premiers soupçons et s’octroyer une marge de sécurité.

Follow my lead. C’est aussi la partie où Taizo excelle particulièrement. Dans un pas d’amorce presque dansant, il s’empare de l’espace, tout cet espace qu’il a trouvé si imposant en arrivant, pour en faire sa scène et s’y sentir comme un prince. Tombant dans son rôle un peu plus à chaque seconde, il s’inspire de tout ce qui l’entoure pour mieux se fondre dans le décor et n’être qu’un simulacre d’illuminé. Traînant Senri dans son sillage pour les premiers pas ; il s’émerveille d’abord devant le buffet, puis complimente les bijoux d’une convive en y reconnaissant une pierre d’esprit, embobine un type qui se lance dans une agence de retraite magique sur la meilleure stratégie financière à adopter – puis invite une autre à venir aux prochains cours de yoga de son épouse pour mettre un terme à ses mal de vertèbre grâce à la position du héron qui permet au flux de poussière de circuler entre les disques usés. that would be great– oh, thank you ! La femme, la quarantaine tout au plus, s’empare d’une coupe que lui tend un homme austère, se joignant à la conversation. Celui-ci porte justement une robe blanche, et jauge Taizo d’un sourire intéressé, sous-couvert de bienveillance. goro, this is shiraishi-san. his wife gives yoga classes – you know i wanted to try, for my back, lui résume-t-elle avec un sourire enjoué. pleased to meet you. - shiraishi-san, this is my husband, goro. he is part of the council, ajoute-t-elle dans un faux ton de confession, sans que l’information semble avoir besoin d’être dissimulée. Dans la continuité de son rôle, Taizo rend la salutation sans sourciller, offrant un sourire respectueux. it’s a pleasure. - the pleasure is all ours, shiraishi-san, reprend Goro. Ses yeux luisent d’une touche de magie, verrouillée sur ceux de Taizo comme ceux d’un rapace. Il est évident que le challenge commence maintenant. Tous les autres mages à qui il a adressé la parole n'étaient que des invités lambdas, sans trop de convictions. Celui-ci est promesse de quelques manœuvres diplomatiques. interesting. what brings a member of the ryu community to our faith ? Les iris dorés scintillent sous la lumière qui leur tombe dedans, comme une évidence. your people are known to have your own beliefs. dear at heart. C’est une attaque, c’est un test, c’est une accusation. Inutile de dissimuler sa vérité. Tous ses sens le lui hurlent, Goro ne lui laisse que peu le bénéfice du doute. the gift of my third eye led me to a different path. i’m looking for my Truth – and i feel some vibrant energy, much more aligned to mine here than i've ever felt in my childhood lands. Le ton de sa voix est impeccable, d’une tranquillité déconcertante pour la cascade d’immondices qu’elle débite. Mais Taizo est confiant, Taizo est serein ; même s’il joue un double-rôle, plutôt qu’un seul : au détriment de ses origines qu’il ne peut nier.

Sous la voûte illuminée des lieux de gala, observés par les portraits de gourous historiques, Senri observe. Se pare d’une expression figée qu’elle a du mal à fissurer pour se détendre alors que la nervosité s’empare de ses gestes ; c’est ce soir, ou jamais. Impossible de savoir quand se présentera la prochaine opportunité. Accrochée au bras de Taizo, qui se présente autant comme une parfaite couverture qu’un moyen pour Senri de ne pas céder à la panique des enjeux qui semblent pour une fois la dépasser.

L’ascenseur comme objectif, glissé à l’oreille de Taizo en se penchant légèrement sur ses talons - se fendant d’un faux sourire, maintenant l’illusion d’un couple commentant la décoration des lieux avec légèreté. We need to find someone willing to take you there. Elle ne moufte pas, derrière ce rictus crispé. Sans vouloir simplement lui dire que ce n’est probablement pas une bonne idée si elle veut fouiller sans personne sur son dos - parce que le plan B, elle le connaît, et Taizo le voit très vite, lui aussi. Otherwise, when the time’s right, I’ll be a distraction to give you an opening. La tension fait légèrement tressauter ses mains. L’idée de laisser Taizo derrière comme appât quand c’est elle qui l’a ramené dans ce merdier, ça la dérange aussi - mais malheureusement, semble plus réaliste que tenter de mettre son nez là où elle n’a pas le droit mal accompagnée. I don’t like that option. But we’ll see, glisse-t-elle simplement, le regard au loin. Ne rien décider, pour mieux aviser - ne pas accepter ces scénarios qui tendent sa colonne, comme électrisée par la nervosité.

Et comme ancre éternelle à ses plans foireux, à son impatience et à son sang bouillonnant, Taizo lui remet les pendules à l’heure. Let’s meet the guests. I can feel suspicious gazes toward us. Senri acquiesce avec un léger soupir, sans le libérer de sa prise. C’est aussi exactement pour ça qu’il est là ; comme couverture, comme carte joker de sociabilité, tout comme un fusible pour l’empêcher de péter à un moment inadéquat. Résumé de plus de vingt ans à être quasi inséparables - même à l’autre bout du monde.

Senri suit le mouvement, accepte une coupe d’une boisson indescriptible, visiblement peu alcoolisée - alors que Taizo papillonne, comme s’il avait toujours été invité pour profiter du buffet. L’idée qu’on reconnaisse son visage la hante, au fond - même si il y a fort à penser que tout le monde présent n’a soit jamais entendu parler d’elle plus que par de vulgaires  rumeurs, soit ait oublié son existence, presque six ans après l’esclandre. Par réflexe, Senri se surprend à éviter de soutenir le regard de quiconque trop longtemps, cependant - et pourtant, inexorablement attirée par ces piliers aux portraits géants d’une même personne, qui semblent les observer.

Les représentations semblent sages, bienveillantes, presque dignes de confiance - regards doux et protecteurs d’un seul homme quasi-déifié. Détaille le visage légèrement animé de ces hologrammes de Poussière étincelants, de ce demi-frère qu’elle n’a pour l’instant jamais l’intention de croiser ailleurs que dans un tribunal. Il reste un dernier pilier, plus loin dans la pièce, dont l’ornement lui est encore inaccessible.

C’est Taizo qui la tire de son observation, venant saisir son bras de sa main libre - signe pour Senri qu’il est temps de se concentrer et revenir sur Terre. La femme semble subjuguée par les descriptions de yoga de Taizo, qui lui vend les cours fictifs de son épouse factice avec une détermination plus qu’honorable - presque à croire qu’il serait lui même adepte de yoga pour de vrai. Mais baratiner sous pression, c’est moins sa came, à Senri. Elle interroge, elle met le doigt sur les faits et les vérités qui font mal - les jeux de rôles, c’est la spécialité de Taizo. Comme une injonction à rejoindre la conversation pour ne pas griller sa couverture - et elle sort la première phrase qui lui passe par la tête, se fendant d’un de ces larges sourires benêts de riche ingénue qu’elle a répétés pour l’occasion. He LOVES the heron position, it’s one of his favorites, fait-elle d’une voix nasillarde avec un geste de la main et un léger sourire complice à la femme - alors que le double sens semble titiller Taizo, dont l’envie de balancer une énormité se retrouve étouffée sous un écho de rires factices et théâtraux.

Mais la conversation attire l’attention d’une silhouette qui accentue la nervosité dissimulée de Senri. La robe blanche s’approche pour se joindre à eux, se révélant être le mari de leur nouvelle adepte yogi. Shiraishi-san, this is my husband, Goro. He is part of the council, glisse-t-elle non sans une certaine fierté dans la voix. Senri a un instant infime de réalisation, scrutant le visage de l’homme, avant de retrouver son faux sourire idiot. Oh! really! It’s an honor… Horikawa. Horikawa-san, répète-t-elle, avec une légère courbette cérémonieuse, toujours accrochée au bras de Taizo.
Et peut-être que dans ces circonstances, le patriarcat semble jouer en sa faveur. Horikawa Goro ne prête que très peu attention à Senri, pour reposer ses yeux immédiatement sur Taizo, qui semble l’intéresser plus que sa grande perche d’épouse. Dans une autre situation, elle aurait soufflé, pesté, protesté - pas ce soir. Passer pour une “femme de” sans intérêt est exactement la couverture que Senri espérait pour passer inaperçue. Interesting. What brings a member of the ryū community to our faith? Le ton est solennel et maîtrisé - les yeux dorés de Taizo accaparent son attention, alors que Senri en profite pour observer le reste. Cherche une trace de bague dorée sur ses mains, sans succès. He’s not a Sōgaka. Good.

Cette information achève de la détendre légèrement, alors que Taizo se prépare pour un Oscar. The gift of my third eye led me to a different path. I’m looking for my Truth – and I feel some vibrant energy, much more aligned to mine here than I've ever felt in my childhood lands. L’entendre déblatérer de telles conneries contraires à ses croyances touchent une corde sensible alors que la main de Senri se crispe légèrement sur le bras de Taizo. Presque peinée qu’il arrive à devoir blasphémer de la sorte pour plaire à un de ces élitistes illuminés - teintée d’une tristesse et d’une pointe de colère injuste qu’elle n’explique que par son attachement personnel aux Kobori.

C’est sans doute le moment de l’aider - essayer de rejoindre l’initiative des énormités pour partager le poids d’aller à l’encontre de sa culture. Senri affiche de nouveau son sourire béat, avant de se tourner vers Taizo, toujours à son bras, pour replacer une boucle derrière son oreille d’un air faussement attendri. It’s always been such a shame your nana never realized how amazing your talents are, commence-t-elle de sa voix nasillarde, d’un ton légèrement plaintif d’une grande enfant contrariée. I always felt like they took you for granted. S’enfonce dans son rôle d’épouse émerveillée là pour dépenser tous ses Dama pour son merveilleux mari, singeant les paroles de collègues en visible bisbille avec leur belle-famille entendues à longueur de journées à la rédaction. Senri se tourne vers les Horikawa, feignant une détermination complice. I believe my husband deserves a community that will treat him with the utmost respect for the foreseeable future, and such commitment is priceless to me, ajoute-t-elle, avec une légère emphase sur les mots stratégiques.

Senri n’entend pas tout de suite la réponse, alors que du coin de l’oeil, c’est le mouvement d’une serveuse en uniforme se dirigeant vers les toilettes qui attire son attention. Et la machine se met en route, concoctant des improvisation comme uniquement Senri et Taizo en ont le secret. Bien meilleure idée que l’alcool léger pour pouvoir feindre non seulement la faiblesse, mais aussi la compassion, et potentiellement filer à l’anglaise sans que personne ne pose de questions. L’idée est merveilleusement ridicule - mais sur un malentendu, ça peut fonctionner.

Se retournant vers ses interlocuteurs pour leur accorder toute son attention, son expression déterminée se transforme en un large sourire confiant, alors que Senri pose sa main libre sur son ventre. …and especially with the baby coming in a few months. Le léger silence qui suit est extrêmement divertissant - c’était à prévoir. I have a very good feeling, glisse-t-elle ensuite à Horikawa-épouse, comme une confession entre femmes porteuses de lignées de talent. Un frisson de ridicule traverse la colonne de Senri, catalysé par ses propres opinions conflictuelles avec la notion de maternité. What the fuck am I saying. Gross. La prise de Taizo sur son bras et un infime regard en coin trahit une certaine surprise, que Senri seule sait remarquer, alors qu’il arrive toujours à se montrer convaincant face aux inconnus. Oh my! A baby! How wonderful! s’extasie aisément la femme - comme prévu. And you’re absolutely right to be looking for the very best for your little one, the Society takes extremely good care of our young prodigal children… Le laïus ne s’imprime que peu, à Senri, qui acquiesce avec un large sourire, ponctuant la conversation de “ah !” et de “oh !” pour feindre un intérêt relatif. Especially with the Third-Eye running in the family. It would be an immense shame to leave it untapped to the hands of those Tenchijima… “scholars”, ajoute Horikawa Goro, semblant cracher le mot “érudit” avec un dédain et une ironie qui font légèrement bouillir le sang de Senri sous ses paumes. How fucking nice would it be to punch him in the face right now.

Évite d’attiser sa colère en se concentrant sur la femme, qui continue son discours sur l’éducation. We have a very good school system to make sure our children develop their talents as early as possible for the sake of the community. Yamato Kiyoshi-sama helped create our Oracle Academy with the best mages in our Society… have you heard of our Beloved Founder Yamato-sama, First of His Name? Le nom fait tilter Senri, qui prête tout d’un coup un peu plus attention à ce qu’elle raconte - en toute relativité. Horikawa tend une main pour lui montrer ce dernier pilier dont elle n’avait pas encore vu le portrait.

Et il l’observe, de toute sa stature. Le Père, le Leader, leur Dieu Originel. Son géniteur, jamais rencontré, source de tant de maux et de sa propre existence - Senri se retrouve à le scruter en silence, alors que son faux sourire s’efface un instant, que le bruit du gala s’étouffe pour n’entendre que les battements de son cœur. Lui. Qu’elle s’est évertuée à haïr depuis trente ans, ayant dédié son objectif de vie à la destruction de tout ce qu’il a pu bâtir au profit des naïfs et des faibles. Fait de particules de Poussière, bras ouverts comme pour enlacer son prochain - comme pour l’inciter à s’approcher de Lui. La pièce se floute tout autour, pour ne laisser que l’image de Yamato Kiyoshi face à Senri. Comme étourdie par ce visage qui lui ressemble bien plus qu’elle ne le voudrait - dans le visage fin, les oreilles larges, la carrure haute et fine.

…Shiraishi-san?

Senri est coupée dans sa bulle, par l’air inquiet de Horikawa, et peut-être de Taizo aussi, toujours à son bras. Shit, yeah, that’s supposed to be me. Senri cligne des yeux, avant de reprendre un faux sourire, et porter une main à son front. I’m very sorry, I’m feeling a little dizzy suddenly - first pregnancies, am I right, bégaye-t-elle de son ton le plus convaincant, avant de se tourner vers Taizo. I will just need the bathroom real quick. Don’t worry about me, fait-elle, pressant sa main autour de celle de son mari du soir. Horikawa-san. Nouvelle courbette aux interlocuteurs - et Senri s’esquive, vers son nouvel objectif. À mi-chemin, entre deux groupes d’invités qui ne semblent pas lui accorder d’attention, tape l’oreillette invisible du bout de l’index, y glissant un message aussi cryptique que de nécessaire.

Going to the bathroom. I need to get changed. I’ll tell you when I’m good to go.