charbons ardents (rei)

Il y a des retrouvailles plus compliquées que d’autres, surtout celles-ci. Peut-être est-ce la distance, le temps, ou peut-être est-ce parce que le silence a pris entre eux un poids particulier. Ce n’étaient pas juste des retrouvailles, parce que Rei et Kuro ne s’étaient pas juste perdus de vue. Ils s’étaient éloignés sans le faire complètement, incapables de se détacher malgré tout, toujours liés par ce fantôme dont ni l’un ni l’autre n’osait prononcer le nom. Neuf ans que Mio les poussait irrémédiablement à l’éloignement mais maintenait les charbons ardents d’un chemin qu’ils s’apprêtaient tout juste à emprunter de nouveau. Maintenait le lien au-delà de lettres de plus en plus courtes, de plus en plus rares. Il n’aurait pas pu se résoudre à revenir sans aller le voir, et ce même s’il ne sait pas trop ce qu’il va lui dire, d’ailleurs il ne sait pas s’il y a quelque chose de particulier à dire. Avec Jasper ça avait été simple, mais avec Jasper il n’y avait pas tout ce poids, cet assourdissant silence gorgé de sentiments que Rei et Kuro n’exprimaient qu’avec le cœur. Il n’y avait jamais eu de charbons ardents, rien que des sourires et des tapes sur l’épaule.

Et quand il marche vers une porte d’un appartement désormais inconnu, à la recherche d’une nouvelle adresse glanée sur les cartes postales envoyées par Rei, il a l’impression que Mio le regarde, attend comme lui de savoir comment vont se passer les retrouvailles de ces deux personnes particulièrement chères à son cœur. Il donnerait tout pour l’apercevoir - et au fond, peut-être qu’une petite voix lui suggère que se replonger dans ses souvenirs auprès de Rei pourrait lui permettre de débloquer le don et voir sa mère à nouveau. Mais Kuro chasse l’espoir dans un recoin de l’esprit, en tous cas tente de le faire, parce qu’il y a bien d’autres pensées plus urgentes, d’autres questions auxquelles Rei s’apprête à répondre alors même que Kuro ne les connaît pas bien lui-même. Il sonne en s’efforçant de garder cet air détaché qui le rassure, cette nonchalance habituelle qui l’éloigne de ses propres émotions, pour le mieux. Le sang restera froid, même si la porte s’ouvre sur un visage pas vu depuis neuf ans, qui a pris un sacré coup de vieux. Kuro regarde Rei avec joie et hésitation, avec nostalgie et mélancolie. Avec d’autres sentiments, probablement, sur lesquels il ne pose pas de mot. “Ça fait un bail,” et c’est tout ce qu’il trouve à dire, incapable de savoir si une autre réaction s’offre à lui. Ils ont toujours été comme ça, certes, mais aujourd’hui, l’affection qu’ils se portent et tout cet amour qu’ils se partageaient en silence il y a neuf ans semble peut-être déborder ou bien chercher à s’extirper d’un placard. Kuro redevient un gamin pour un instant, ne réagit pas plus ; se dit que Rei saura mieux le faire que lui, comme il l’a toujours fait, quand il n’avait pas besoin de parler pour le comprendre.