can you feel the chemistry ( ͡❛ ͜ʖ ͡❛) fuyumi

tw : mort, distortion humaine. Elle en avait vu revenir, elle en avait vu disparaître. Mains jointes, tenue bien droite aux côtés prédécesseures, elle avait eu le privilège d’être témoin des quelques miracles offerts à son peuple. Sa grand-mère, symbole de foi et d’unisson, accompagnait les familles ryū depuis tant de décennies déjà que chaque action était désormais réflexe. Sa mère, devant bientôt prendre la relève, observait tout rituel avec cette attention particulière d’une apprentie prête à dépasser le maître. Fuyumi, elle, toujours loin de la succession, se contentait d’offrir une présence discrète et respectueuse à ceux répondant à l’appel des flots.

Mais toutes les transformations contemplées, toutes les vagues agitées par les nombreuses bénédictions n’avaient su la préparer pour la découverte de ce matin-là. Alors que l’aurore s’éveillait à peine, que le soleil se frayait un chemin dans le ciel fatigué de mars, on cogna à la porte de l’habitation familiale. Ce fut elle qui répondit, les yeux à demi-clos. Sur le porche se tenait un pêcheur qu’elle reconnaissait bien, le chapeau tordu entre ses doigts nerveux. Ses jointures étaient aussi blanches que son visage alors qu’il balbutiait, de sa bouche pâteuse, quelques mots incohérents. Perturbants.

Fuyumi se jeta sur la plage, pieds nus dans le sable refroidi par la rosée. Son peignoir battait au vent tandis que ses jambes la portaient en une course jusqu’au bateau accosté, non loin d’une falaise. Sur ses talons, père et aïeule.
Dans l’embarcation, un autre homme aux yeux baissés. « Vraiment désolé, Fuyumi-san. » Sa voix résonna au loin, rebondit sur l’océan calme comme un mirage auditif. Comme un écho perdu. La jeune femme se contenta de s’approcher, d’observer la masse étendue aux pieds du pêcheur. La peau diaphane d’une femme semblait briller, sous les perles d’eau encore accrochées à son derme. Ses longs cheveux noirs et humides, collés un peu partout sur ton corps, cachaient une partie des anomalies de son physique, mais pas toutes. L’une de ses jambes, visiblement plus longue que l’autre, se terminait en énorme pied palmé. Son dos, déformé par une échine saillante, se déchirait à quelques endroits pour laisser paraître la naissance de nageoires. Mais le pire restait son visage, dont les yeux d'un bleu clair et effacé semblaient fixer le néant. Le pire restait son nez écrasé, ses joues violettes et gonflées par la noyade ; sa bouche, qui avait échangé son sourire chaleureux en une gueule aux dents innombrables, toutes visibles par cette mâchoire fracturée et constamment ouverte.

Poussant un cri d’horreur, Fuyumi recula en un bon violent et fut vite rattrapée par les bras de son père. D’instinct, il cacha les yeux de sa fille contre sa poitrine et la serra de toute cette force que fait naître l’amour parental. Le cœur meurtri, il se contenta de caresser les cheveux de son enfant, de lui assurer que tout irait bien. Ce fut sa grand-mère, arrachée de sa propre transe par l’éclair des responsabilités, qui la détacha de l’étreinte par deux mains sur ses épaules. « Personne ne doit savoir. Personne ne peut savoir, tu m’entends ? Pour tout ce que tu en sais, ta mère a fait un choix, c’est bien compris ?! Elle veille sur nous, Fuyumi. » Et, obéissante, comme à son habitude, la jeune femme hocha la tête. L’enveloppant de son bras, son père la ramena chez eux à son rythme, alors que sa grand-mère s’occupait du corps et des pêcheurs. Dans sa tornade d’émotions, dissimulée derrière un tatemae de fer, elle oublie d’imposer un Sceau d’Oubli.