Interlude・Saeri

L'hiver approche, et le vent frais l'accompagne, mélodie des jours enneigés que l'on attend avec impatience, même quand l'âge adulte sonne, l'esprit de l'enfance ne sait pas quitter les âmes. Et Sia en fait partie, même si ces dernières semaines n'ont pas été faciles. L'annonce d'un enfant, les nausées et l'appréhension avant de pouvoir l'annoncer. Santé fragile dans les antécédant de la famille, elle avait peur de le perdre à tout moment. Peur qu'on lui enlève cette vie qui se met à grandir dans ses entrailles, qui vient arrondir avec discrétion son ventre si bien caché. Ca ne fait pas très longtemps, et elle avait besoin de préserver ce petit cocon qu'est cette famille qu'elle construit aux côtés de l'aimé.
On ne connait jamais grand chose d'elle,
Entre les murs du travail où elle aime se noyer. Vocation par passion,
Elle s'use, se torture toujours, rigueur qui pèse sur ses épaules, le poids de sa famille, de la réussite, et la peur de l'échec si jamais elle s'effondre. Elle a toujours été très évasive sur sa vie privée, et si il y a bien une personne avec qui elle a envie de partager ces nouvelles, c'est bien Saeri. Petite pierre de cristal qu'elle observe grandir et évoluer depuis quelques temps, elle ne sait plus depuis combien de temps elle l'admire, elle aussi. Devenue pilier au sein des bureaux, quand tous les regards sont parfois prédateurs. Soirée entre filles, elle a décidé de l'inviter de son plein gré, pour souffler de ces derniers jours qui n'ont pas été faciles, la fatigue pèse un peu plus sur elle ces derniers temps, cernes visibles malgré le maquillage. Enveloppée dans son long manteau, le froid ne la touche pas, catalyseur et sort qui lui permet de rester dans cette bulle de chaleur, fille du printemps, pourtant née en plein automne, elle déteste le froid. Elle est un peu en avance, et sait que son invité ne sera pas en retard, le regard qui se pose sur chaque visage dans la rue, souriant à quelques inconnus qui répondent en retour.

Elle se demande si ça se voit ; cette fatigue qui tirent les yeux toujours plus bas, jusqu'à creuser des cratères qu'elle ne sait plus dissimuler. Se demande si la carapace s'est enfin effritée, et que la laideur de sa propre faiblesse a fini par s'étaler au grand jour.
Elle essaye de pas y penser pourtant, alors qu'elle feint un geste de main léger dans la direction de sa collègue – supérieure (amie). Persuadée qu'elle l'a invité pour lui changer les idées, à trop la voir ruminer dans son coin ; s'alourdir les épaules d'une responsabilité trop lourde pour compenser toutes les peurs qui restent tapies dans le noir. Mais Sia, elle a sûrement vu clair dans son jeu.
C'est ce qu'elle se dit à chaque fois que leurs regards se croisent, et que le dos se tend à nouveau – bien droit. Fierté abusive qui dégouline jusque dans leurs sourires. Et l'impression d'en avoir déjà déçu tellement la fait encore tenir. Elle veut pas la décevoir – elle. Veut pas qu'elle se dise qu'elle est sur le point de craquer.
C'est pas le cas.
Et la poudre sur ses joues, le liner autour de ses yeux – lui donnent l'air un peu plus humaine. Refait de son visage celui de la jeunesse qu'elle laisse filer, pendant qu'elle fera mine d'en profiter pour cette soirée. Elle lui doit bien ça (elle lui doit tellement). Et surtout, elle espère, en plus de tout le reste you didn't wait too long, did you ? - pourtant persuadée d'être à l'heure.
Le bras se glissera facilement dans le sien pour qu'elles avancent ensemble ; le planning de leur soirée encore trop flou. Et Saeri s'était promis de se laisser guider, histoire de lâcher prise (première fois depuis une éternité), laissant même de côté les honorifiques pompeux qui valsaient sur ses lèvres toute la journée. Parce qu'elle doit bien l'avouer, avec toute la sincérité dont elle sait faire preuve, god it feels nice to see you like this. I mean – it's been ages since we last went on a girls night together. le thank you encore un peu trop timide à passer les lèvres.
Parce qu'elle continue de croire Saeri, que c'est tout ça est pour elle.
Que son monde se résume à sa personne, quand il est sur le point d'être ébranlé.
so where are you taking me tonight, old lady?

Perle de nacre, trop souvent laissé dans un coin, abandonné ou surestimé. Les épaules lourdes, trop lourdes, le monde vient se pencher à ses oreilles et murmurer ces choses qu'elle se refuse. L'échec, l'absence, la fragilité. Des choses qu'elle ne sait plus montrer ni même accepter. Car elle-même, avant tout, ne veut pas être un poids pour ceux qui vivent autour d'elle. Toujours rayonnante, toujours dans ce grand rôle à jouer, personnage principale de sa propre vie. La vie n'est pas si facile, il n'y a que des apparences, parfois trompeuses, parfois sincères. Et Saeri, elle serait la seule qui serait capable de comprendre, si elle s'ouvrait à elle. Plus que cette limite qu'elle s'impose, ne jamais aller trop loin, ne jamais trop s'attacher, car viendra un jour où les coeurs se briseront surement et que les regrets commenceront à pourrir dans les coeurs.
Pourtant ce soir, il y a un peu plus de sincérité, dans les paroles qui s'échappent des lèvres comme dans leurs gestes, il y a plus de naturel, quand le sourire vient éclairer son visage à la vue de celle qu'elle attendrait, heureuse de la voir, son battant se réchauffe avec douceur. No, don't worry, it's fine! Qu'elle vient rassurer alors qu'elle laisse son bras glisse autour du sien, serrant un peu plus ces carcasses épuisées, sans se l'avouer. It's so nice to see you outside, you're right. It's peaceful! And to be honest, i really needed that. La poitrine se gonfle d'un bonheur qu'elle aimerait lui partager, une main qui vient recouvrir la sienne avec douceur et légèreté, les pas qui se dirigent vers la destination qu'elle a soigneusement selectionné pour elles ce soir. Well, my boyfriend talked about that new restaurant, it's european food, and i wanted to give it a try with you! La joie se fait ressentir dans sa voix, dans ses gestes, alors qu'elle la serre un peu plus contre elle, pour qu'elle ne prenne jamais froid en cette soirée qui sonne la fin de l'automne. How are you doing lately? In your life i mean. Everything's good? A toujours veiller sur elle, garder un oeil sur Saeri, comme une grande soeur toujours inquiète. Après tout, c'est ce qu'elle est. A toujours vouloir prendre soin des autres, jusqu'à elle-même s'oublier. Oh, it's there! Le doigt pointe le batiment alors qu'elle les dirige vers la porte, la laissant passer en première avant de demander une table au serveur. It looks fancy! But it's warm, i like it. Alors qu'elle viennent s'installer près de la grande baie vitrée, la chaleur qui réchauffe sa poitrine, manteau délaissé sur la chaise où elle prend place.

La douceur de sa main sur la sienne efface un peu le reste – tout ce qui habite leur routine quotidienne. Ça permet à l’esprit de s’évader un peu, de se détacher de la pression du monde alentour, alors qu’elle se laisse guider par son aînée ; suivant sagement le chemin conseillé par l’âme sœur. Et elle la sent, Saeri, cette pointe de jalousie qui se mêle à son sourire. Éclat toxique qu’elle empêche de se mélanger à ses mots d’une sincérité sans égale, quand elle avoue you guys are definitely the cutest. and i feel honored that you’re saving this date for me instead., quand elle n’a jamais réussi à saisir réellement la beauté d’un tel lien entre deux personnes. Sûrement trop immature encore, elle reste aveuglée par des désirs égoïstes – retenue par des chaînes ridicules d’indépendance dont elle n’imagine pas se défaire de sitôt.
yes, i suppose everything’s ok. I’m the one who should be asking you – you seem a little bit tense these days. Even though it’s probably none of my business.
Le rire qu’elle échappe n’est là que pour lui épargner la lourdeur d’une pression supplémentaire. Elle ne lui doit rien – pas d’explication, pas d’excuse. Encore moins le déballage de sa vie privée sur un plateau d’argent à sa simple demande. Elle a simplement ce besoin d’être là Saeri. De lui faire comprendre que si besoin elle n’a qu’à tendre la main.
Quand c’est pourtant pas dans ses habitudes de vivre pour les autres – altruisme relayé au second (centième) plan par peur d’étouffer l’ambition. Mais la plus jeune commence à comprendre que cette sortie n’est pas faite pour elle. Que ce n’est pas ses épaules qu’elle cherche à alléger – seulement celle de Sia.
Et rapidement elle se sent comme l’enfant qui sent arriver la mauvaise nouvelle ; le cerveau qui carbure à deux mille sans réussir à mettre le doigt sur l’erreur qui l’aurait amené là. L’enfant qui marche vers sa potence, le sourire aux lèvres, les plaisanteries telles que if it’s that fancy, i hope the dinner is on you qui dévalent la courbure de sa bouche. Jusqu’à trouver sa place en face d’elle, solennellement.
Et l’attente qui commence.
no offense, but your boyfriend is a fool for not taking you on a date here sooner. I might steal his wife if he’s not careful enough.
Occupée à couvrir les apparences toujours trompeuses. Les habitudes changent avec Sia, et elle redoute ce qui s’annonce. Tout en devient maladroit, à sentir le malaise qui se glisse dans un clin d’œil taquin alors que l’attention se reporte sur le choix du repas qui s’offre à elles. how about i get us something to drink first ? some rose champagne maybe ? if i’m about to ask for your hand, it’s the least we can do.

Sia est devenue adulte sans même s'en rendre compte. L'enfance n'est plus qu'un souvenir lointain, comme un fardeau que l'on a trop porté sur ses épaules. C'est comme si sa vie avait changé du jour au lendemain, et qu'elle n'était plus la même. Elle n'est plus réellement la même, plus sage et moins immature qu'elle le fût à une époque, elle a laissé ses envies d'aventures dans un vieux carton au fond du grenier, celui que l'on ne veut pas rouvrir de peur que la folie des grandeurs se prennent d'affection pour le coeur. Elle n'aurait jamais cru que ça se passerait ainsi. Un travail stable qui lui plait, ses études terminées, vivant aux côtés d'un amour de toujours, et portant maintenant leur enfant. Elle ne se reconnaît plus, et pourtant, elle ne peut qu'apprécier ce qu'il se passe.
Elle a toujours eu l'air droite, trop droite, Saeri ne l'a pas connu quand elle était encore pleine des joies de l'adolescence, quand elle s'envolait parmi les oiseaux, enfance folle à laisser le rire éclater partout où elle allait. Peut-être qu'elles se seraient détestées, peut-être qu'elles se serait jugées dans le silence des regards. Oh really? Elle n'est pourtant pas surprise, la fatigue accable son corps ces derniers temps, les symptomes de sa grossesse n'ont pas été tendre avec elle, et plus les semaines passent, plus elle sent la lourdeur sur ses épaules. I need some sleep, i guess. Et elle vient en rire, elle juge que ce n'est pas encore le bon moment pour l'annoncer, à vrai dire, elle redoute un peu sa réaction, car elle est la première personne en dehors de sa famille à qui elle va dévoiler ce secret qui grandi en elle. Ahaha, well, I guess he just wanted me to enjoy this place with whoever I want. It's ok, we can have some time without seeing each other. Le sourire porté en étandar sur ses lèvres, les yeux s'échappent quelques secondes vers la décoration, pourtant rapidement rappelée à l'ordre. Oh, you can whatever you want, and of course, it's on me. I'll just take a glass of water to be honest, i might be sick if i drink alcohol tonight. Indice déjà trompeur, elle n'a jamais refusé un verre ni même un cocktail, gourmandise sur le bout de ses pulpeuses, elle s'est toujours délectée des plaisirs de la vie. I really prefer to spend time with you here, than at work. The atmosphere is sometimes very heavy and business does not reduce. Pourtant elle sait que cette voie est celle qu'elle a choisi, et qu'elle ne fuirait pas, peut-être pas maintenant. Mais les temps deviennent plus difficiles avec ce qui traine dans son esprit, et elle semble avoir du mal à tout organiser dans sa tête.