the ghost inside + senri

Journées qui s’allongent et s’adoucissent alors que Mars pointe ses premiers jours - mais lorsque Senri lève le nez de son bureau pour boucler les dernières retouches de son article, la nuit est déjà tombée sur la ville. Elle s’étire un instant, levant les bras vers le plafond sur son siège, alors que l’open space s’est vidé pour ne laisser que les derniers gratte-papiers les plus assidus - ou les stagiaires, qui n’osent pas décamper tant que leurs aînés seront encore dans les parages. Le calme n’est pourtant pas dans son programme habituel, mais Senri sait faire preuve de rares moments de concentrations, parfois, quand les planètes sont alignées.

Pivotant d’un tour sur sa chaise, Senri étire ses pattes pour filer vers la kitchenette et se verser un café. La pensée d’une bière lui traverse rapidement l’esprit, se promettant de passer par un conbini sur le chemin et profiter des températures douces pour en profiter sur son balcon - mais quand elle s’effondre de nouveau à son bureau, c’est son téléphone qui en décide autrement.

Le numéro la fait tilter, une main occupée par son mug de café. Tiens donc. Un nom qui apparaît rarement dans la liste des appels de son téléphone, mais qu’elle accueille avec un léger sourire en coin. Bueno, lâche-t-elle d’un air goguenard, accoudée au bureau. La voix de Jasper Artaega est toujours teintée d’un certain enthousiasme à toute épreuve, même dans les pires plans. Senri, Senri, I’m so sorr- What’s good? coupe-t-elle dans son élan, interrompant malgré elle Jasper et ses excuses balbutiantes. Oh yes I’m fine! And you? Y’know, just girlbossing around the office like the reasonable woman I am… ironise-t-elle au trente-sixième degré en se redressant pour foutre les pieds sur son bureau. Elle ne se rappelle pas exactement la dernière fois qu’elle avait eu Jasper Artaega au téléphone, mais Senri n’est pas de celles qui adaptent leurs discours aux circonstances - aussi exceptionnelles semblent-elles être. …can you come to the uni? Now? s’exclame Senri, sincèrement étonnée par la requête. I think I need your help… My help? C’est l’étonnement qui teinte ses réponses, aussi divertie soit-elle par l’appel imprévu. Aren’t you the Head of house Raiyo? They must have filled you in on the kind of reputation I hold around there, ricane Senri, amusée que ce soit à elle qu’on s’adresse pour aller chercher du renfort. …got a ghost topic for your newspaper if it may help? Et Senri affiche une expression sincèrement étonnée, couronnée de la curiosité maladive qui lui hurle que si elle serait venue même sans savoir dans quoi elle se lançait, au mot “fantôme”, elle ne peut décemment et absolument pas refuser.

Alrighty. I’m listening.



La silhouette de Artaega l’attend déjà à l’entrée du parc du campus, à cet endroit-même où Senri a l’habitude de garer sa bécane (n’importe comment) quand elle vient emmerder Rei à son bureau. À moitié éclairé par les lampions qui jalonnent le chemin vers Tokidai, Senri s’approche de sa démarche trop assurée, mains dans les poches, comme si elle était propriétaire des lieux qu’elle n’a pourtant jamais officiellement fréquentés. Jay-jay my man, alpague-t-elle avec un large sourire railleur, jetant son sac à dos sur une de ses épaules, main libre dans la poche de son pantalon fluide. When there’s something strange in the neighborhood… entonne-t-elle presque, avant d’esquisser une révérence en guise de fin de phrase. Hope you didn’t say a word to your ex-wife about our spooky date, I don’t want no trouble, raille Senri de son ton habituel avec un sourire excessivement charmeur, mais dénué de toute intention - un synonyme de salutations et son passe-temps favori, pour elle. So, where’s the party rocking? Pas franchement surprise que de tout son répertoire, ce soit elle, ses vieux plans et sa réputation de fouine casse-couilles qu’il ait contacté pour suivre la piste d’un fantôme qui visiblement n’a pas l’air d’être bien pris au sérieux par ses collègues. Son catalyseur à l’abri dans la poche de sa veste, et prête à en découdre avec le moindre truc qu’ils trouveront.

Senri rend son entrée aussi épique que possible, entre la moto garée en vrac, la démarche excessivement assurée et les piques balancées à Artaega sans aucun préambule, de son sourire insolent qui ne la quitte que peu. Il est toujours bon public, Artaega, le genre de mec qu’on a du mal à imaginer en colère ou de mauvaise humeur, toujours le mot pour rire et jamais vexé. Toujours facile de blaguer ou de discuter avec lui, sans trop réfléchir à ce qu’elle raconte, sachant que ce sera toujours bien reçu. What’s a romantic relationship without a little bit of murderous spice, really, réplique Senri dans ses meilleures ironies avec une moue peu impressionnée. Ils font une drôle de paire, tous les deux - sans surprise, alors que dès leur première rencontre à l’autre bout du monde, ça avait aisément cliqué entre le Artaega brigadier et la jeune apprentie journaliste.

Emboîte le pas du mage vers l’académie, plutôt curieuse de voir ce à quoi ils allaient se frotter. Thanks again for coming. I didn’t want to ask another teacher for help. Senri laisse échapper un petit rire railleur. That’d be pretty bad for the festival if people hear that the Head of house Raiyo is scared of creaky doors, lance–t-elle d’un air narquois. Sa manière de lui dire “t’inquiètes” - finalement, à répondre à son appel, c’est peut-être plutôt Artaega qui rend service à Senri et pas l’inverse. Elle suit ses pas dans les couloirs de cette école finalement très étrangère, pourtant la fierté de tout l’archipel. …so are you still okay since my last call? Senri hausse les épaules d’un air détaché comme s’il pouvait la voir, marchant devant elle pour mener le pas. You know, the usual. Work, eat, sleep, work out a bit, rinse and repeat. The boring life of any responsible adult, fait-elle, laissant traîner son regard sur des salles de classe vides ou les jardins visibles depuis les coursives. Haven’t travelled in a while despite my restraining order running out, which is fucking weird, but I guess that means I’m kind of getting used to this goddamn island, ajoute-t-elle avec un petit rire désabusé. Elle essaie de pas trop y penser - du fait qu’elle sait plus comment aborder ce qui faisait tourner sa vie il y a encore cinq ans, qu’elle sait pas par où commencer. Que d’autres trucs finalement la retiennent ici un peu plus qu’elle ne l’aurait envisagé. You? What’s up? Senri relance la question, bien qu’elle s’attend à entendre le même type de réponse de la part de Artaega - qui comme elle, semble avoir trouvé pied à terre sur l’archipel, volontairement ou non, après des années sur les routes. Seems like I’ve been hanging around this darned school a bit too much for someone who never attended, lately, commente une nouvelle fois Senri sur un ton de semi-plaisanterie. Entre Rei et sa nouvelle vocation, les hallucinations collectives du gala, et maintenant ces histoires de fantômes, il lui semble passer plus de temps à Tokidai que dans son propre appartement.

There. Senri s’arrête pour scruter la porte en question, verrouillée. Attendant la suite des informations pour savoir quoi faire. Apparently, it’s a former experiment room that has been turned into a storage room for us. Students do not have access to it. Artaega ponctue sa phrase d’un regard qui veut tout dire, penchant légèrement la tête - et Senri n’a pas besoin de rajouter quoi que ce soit d’autre que lui jeter un sourire espiègle en haussant les sourcils en guise de réponse. Parmi les étudiants les plus susceptibles de s’introduire en douce dans une pièce interdite, elle devait sans doute figurer en tête de liste, à l’époque de ses quatre cent coups à Wakoku avec Taizo. There have been- et Artaega est interrompu par un grattement derrière le battant, suivi d’un couinement aïgu semblant venir de contre la porte, à l’intérieur de la pièce.

Senri croise le regard de Artaega, qui esquisse un “what the fuck” silencieux, l’air interrogateur. So that’s your ghost…? fait-elle en chuchotant, pointant la porte du doigt d’un air confus. Sounds like some kind of rodent got trapped inside, ajoute Senri, avant de se pencher pour poser une oreille sur le bois, essayant de distinguer d’autres bruits. Silence total - qui ne l’aide pas vraiment à savoir ce qui se passe à l’intérieur. Dude, I don’t- et elle les entend alors. Des pas, infimes, faisant craquer le parquet vieillissant dans la pièce verrouillée, arrachant à Senri une expression d’autant plus étonnée. Attend quelques secondes, mais le silence revient, et Senri se retourne vers Artaega. Something’s walking in there, décrit-elle, la voix toujours basse, but it stopped… Elle se redresse, posant son sac à dos dans un coin du couloir, prête à tenter un plan d’action pour avoir le fin mot de ce mystère. And the only thing that… ghost does is strange noise? Did anything else weird happen around here before? Interroge et récupère les informations, une par une, pour tenter de former sa stratégie - si Senri n’avait pas un terrible problème avec la hiérarchie et l’autorité, elle aurait probablement fait fine enquêtrice de police. Laisse traîner ses doigts sur la poignée et la serrure métalliques de la porte, se penchant légèrement pour inspecter l’état des lieux - mais c’est plutôt le bois de l’encadrement qui attire son attention. Yo, did you see that? Pointe du doigt ce qui l’interpelle, et laisse Artaega s’approcher pour constater. The wood is chipped. Looks like… claw scratches, fait Senri en examinant les aspérités, pas bien grandes, à hauteur de sa poitrine. Like something with sharp claws tried to rip their way inside. But the door is locked. Huh…

Les circonstances sont tout spécialement particulières - mais pour le moment, Senri a encore du mal à prendre les choses bien au sérieux. Ses chamailleries constantes avec Artaega n’aident pas vraiment, à demi persuadée qu’il est en train de l’embarquer dans une vaste blague pour se foutre d’elle plus tard. Oreille contre la porte, Senri essaie de discerner ce qui pourrait bien se passer dans cette fameuse pièce, sourcils froncés. C’est clairement un bruit de pas qu’elle peut entendre sur le vieux parquet, non sans causer la détresse de Artaega, qui, si sincère, ne semble pas en mener large. Dios mío I don’t get paid enough… Senri laisse échapper un ricanement. Well, I only heard strange noises. Screams? And a shadow in the hallway when I was leaving, explique alors Jasper pour ajouter d’autres indices au tableau, alors que Senri fronce les sourcils en essayant de relier les points. Are there any other witnesses? Did students see or hear anything as well? continue-t-elle, lancée dans son enquête. Blague ou pas, Senri se laisse prendre au jeu, prête à voir le fond de cette histoire, même si elle devait y trouver Rei avec un drap sur la gueule hilare au fond de la pièce - ce serait une bonne occasion de lui faire une clef de bras et prétendre que ce n’était que de la légitime défense.

Ses observations la mènent à des marques de griffures sur l’encadrement de la porte, qui ne semble pas aider à apaiser l’esprit de Artaega. Don’t think any of our juujin or henshisha students would do that but it can be considered, commente-t-il, visiblement paumé. Could be a mangetsuki too. Unsupervised full moon slumber party or something… renchérit Senri avec un haussement d’épaule, même si elle n’y croit absolument pas. Un étudiant aux prises avec ses transformations ne resterait pas sur les lieux une fois la pleine lune passée. The zoology teacher is on vacation, so he can't help us, continue Artaega - avant de sortir ses clefs en soupirant. Shall we say hello to our ghost? Senri pose une main sur l’encadrement de la pièce, alors que son visage s’éclaire sous le coup de l’adrénaline de ne pas savoir ce qu’ils peuvent trouver à l’intérieur. Let’s not be rude indeed. Ladies first, raille-t-elle en lui faisant signe de pénétrer en premier, bien que ça ne semble pas le réjouir tout à fait.

La porte grince et s’ouvre sur un trou noir - alors que la pièce est dénuée de toute fenêtre et seulement éclairée par la lumière venant du couloir, illuminé par la lune. Senri emboîte le pas à Jasper en silence, qui semble chercher un interrupteur sur l’un des murs - mais le cliquetis résonne sans aucun effet. I don’t know if it’s normal, commente-t-il à voix basse. Unless you make a habit out of storing shit in the complete dark… raille Senri en chuchotant. Sauf si par “normal”, il veut dire “quelqu’un doit venir réparer la lumière”, rien de tout cela ne semble “normal” jusqu’à présent. Elle fait quelques pas de plus pour essayer de discerner les étagères, alors que la porte claque d’un coup, lui arrachant un sursaut. Holy fu- La voix de Artaega lui vient immédiatement dans la pénombre. Did you close the door? Il lui semble être vaguement à sa droite, mais le noir est complet. I thought that was you…? réplique Senri - et si ce n’est pas un courant d’air, probablement inexistant dans ce couloir de l’université, quelque chose d’autre se trame dans cette pièce.

Shit, souffle Senri, avant de claquer des doigts de sa main gauche, laissant sa main droite disponible au cas où elle devrait sortir son catalyseur. Une petite flamme se matérialise sur son pouce, éclairant son propre visage. You have anything more powerful…? chuchote-t-elle à Artaega. Ils maîtrisent la foudre, mais faire tomber un orage dans la pièce semble être la pire idée du siècle, même pour générer de la lumière.

Senri avance un peu plus, doucement. Un bruissement dans l’air l’arrête net, et elle se retourne vers Jasper pour lui faire signe de ne pas faire de bruit - pour se concentrer sur les sons, essayer d’en discerner l’origine. Semble résonner comme une respiration saccadée, presque sifflante, un peu plus loin dans l’espace de stockage, arrachant un frisson à Senri qui ne se démonte cependant pas pour si peu. Is anyone here…? souffle-t-elle d’une voix claire, sans agressivité.

Pas de réponse. Senri fait quelques pas supplémentaires, laissant Artaega derrière elle pour prendre les devants. Et c’est un coup de vent qui la frôle, présence fantômatique qui semble passer à quelques centimètres de son dos, émettant un hurlement lugubre, presque spectral. Senri fait volte-face par réflexe. Oi! lâche-t-elle, le coeur battant. C’est ensuite la flammèche de sa main qui semble se faire souffler dans un second coup de vent, visiblement décidé à les provoquer. Ou pire - les attaquer.

Show yourself! clame-t-elle, adrénaline pompant dans ses veines. Sur le qui-vive, elle tente de faire appel à son ouïe pour se défendre. Le noir complet ne lui va pas au teint, alors que Senri et ses réflexes s’affûtent au fil de ses observations visuelles plus que des sons. Un grincement fend alors l’air, alors que des objets non-identifiés chutent au sol derrière elle… puis sur son épaule gauche. Yo what the fuck! lâche-t-elle, avant de tracer un glyphe de sa main droite pour temporairement repousser les projectiles dans un petit bouclier de poussière au-dessus de sa tête. Discerne la tentative de l’intrus de les assommer en faisant tomber les étagères sur eux, probablement sous le coup de la panique. Les mouvements se font moins délicats, les bruits de pas plus simples à écouter - et une fois que l’étagère et son contenu ont fini de chuter, la direction prise par la créature vient plus clairement à Senri. Tente de la poursuivre, mais se heurte vite à un des meubles, tombés en travers de son chemin. It’s heading for the door! lance-t-elle à Artaega, sans doute de l’autre côté. Don’t let it leave the room! En espérant que malgré l’obscurité, il pourrait arrêter leur assaillant, tentant visiblement une percée pour s’enfuir et leur fausser compagnie.