≋ i'm not okay (kazuha)

De ces fins de mois qui se ressemblent, alors que les émotions et les sensations sont toujours aussi lourdes à porter. De l’iode dans l’air, de la musique des vagues qui obstruent les sens jusqu’à donner l’impression de perdre la tête. Lorsque l’oxygène est trop dense et la peau trop sèche, quand le poids des regrets et de la culpabilité le lui laissent plus de quoi respirer - les yeux grands ouverts, à contempler le plafond de la chambre, sans pouvoir retrouver le sommeil, Tiffany laisse le soleil lentement éclairer ses jambes à travers les rideaux.

Cinq heures et demie. Jour qui se lève à peine, plongeant la pièce dans des teintes bleutées, si ce n’est pour les quelques rayons perçant à la fenêtre, venant gêner ses paupières. Et la tête lourde, commence à comprendre les signes, à entendre l’appel de ses instincts qui reprennent le dessus à chaque lune. Le jour approche. Huitième mois à tenter de se maîtriser, d’apaiser ses sens en alerte lorsque l’océan est trop bruyant - et Tiffany commence à trouver ses habitudes, la sortant lentement de la torpeur sombre d’une mélancolie esseulée depuis que les eaux l’ont recrachée sur le rivage.

Veille à ne pas faire de bruit pour ne pas déranger ses hôtes - elle sort pieds nus, pour refermer la porte coulissante et se diriger vers le rivage, en contrebas. L’air frais des jours qui rallongent les uns après les autres, du printemps qui revient lentement, laisse entrevoir de meilleures auspices pour cette fille ayant toujours vécu de soleil et de vagues. Le sable humide sur la peau de ses pieds lorsque Tiffany atteint la plage la plus proche du village forestier. Inspiration, expiration. Chasse une mèche de cheveux emportée par le vent poisseux du matin, pour se rapprocher de l’eau. C’est si tentant de s’y jeter, d’y rester jusqu’à la nuit. Appartenance qu’elle n’a jamais reniée, longtemps mise sur le compte de sa région natale et d’une simple histoire de culture - mais pas celle-ci. La vie est faite d’étranges ironies insolentes.

Enveloppée dans un gilet en laine, elle se laisse tomber sur le sable, assise sans ménagement. À l’aise avec les lieux, dans une habitude qui n’a rien à voir avec sa récente affliction. Dans d’autres circonstances, elle aurait agrémenté sa contemplation de l’horizon d’un café glacé - mais ce matin, il est trop tôt, et vivre en société lui semble encore trop dur. Peine à se dire qu’elle devrait remettre son masque dès le lendemain pour arpenter les bureaux aseptisés des laboratoires, comne l’ombre d’elle-même. Espérer entendre une bribe d’information qui la rassurerait, ne serait-ce qu’un peu.

Contemplation interrompue par un aboiement - et Kaiyo semble avoir de l’énergie pour eux deux, à se jeter sur elle pour tenter d’arracher une léchouille sur sa joue. En huit mois à vivre chez les Shinohara, par pure bonté de coeur, il semblerait que le Samoyède l’ait adoptée le plus facilement - et c’est bien réciproque. Les airs joueurs du chien au pelage immaculé, malgré ses pattes mouillées et couvertes de sable, arrachent à Tiffany de ces sourires sincères et spontanés qui lui sont bien trop rares, depuis son arrivée sur l’île. Oh hello there, glisse-t-elle, enfouissant ses mains dans les poils blancs de Kaiyo sans hésiter, de sa voix haut perchée réservée aux animaux de compagnie. Look at you, you’re all yucky! Yuck, yuck, minaude-t-elle en ébouriffant le pelage du chien avec affection. Lui tend la main, comme dans un rituel bien rodé. Gimme the paw, souffle Tiff à Kaiyo. Your paw! - et abdique finalement lorsque le chien, hermétique à ses ordres dans une langue étrangère à la sienne, se contente de la regarder en haletant joyeusement, sans bouger. Good boys like you don't speak English, do they, finit-elle par expirer avec un léger rire amusé, fourrant ses mains dans le pelage une nouvelle fois, avant de lever la tête vers la silhouette du maître, évidemment non loin.

Pas vraiment si surprise de croiser Kazuha levé si tôt, ni même sur la plage. Ça semble presque évident qu’ils finiraient par se trouver sur une plage aux aurores - savent les instincts qui les frappent à l’approche de leurs transformations respectives, en plus de commencer à comprendre les habitudes de son hôte. You’re up early, murmure presque Tiffany à Kazuha, reprenant son ton habituel, sans cesser de caresser Kaiyo. I hope I didn't wake anyone up. Accent de la vallée, voix doucereuse, presque monotone, dans ces moments plus lourds à porter. Chasse une mèche de cheveux emportée par le vent iodé du lever de soleil, pour tenter d’esquisser un sourire sans doute toujours un peu triste. It was too much. Couldn’t sleep, commente-t-elle, sans avoir besoin de préciser. Il sait exactement l’effet que l’océan a sur eux. Il sait aussi exactement le genre de pensées qui la tracassent chaque jour de plus à respirer sur l’archipel. Son besoin de se contrôler, d’aller mieux, de devenir plus forte - et enfin pouvoir réparer ses erreurs.

Soupir léger, laisse Kazuha prendre place s’il le veut. How long did it take for you to get used to it? L’impression d’avoir déjà posé la question cent fois, mais qu’elle a toujours besoin d’entendre la réponse - comme pour se rassurer, se dire que ça finirait bien par passer. Dans un mauvais réflexe de penser à ces symptômes comme à ceux d’un vulgaire rhume des foins, ou ceux d’une nouvelle gueule de bois après avoir cherché à noyer son mal-être dans autre chose que de l’eau salée.

Le matin est depuis bien longtemps synonyme de paix, sur les étendues presque blanches du sable qui se glisse entre les doigts de pieds. C'est une routine à laquelle Kazuha est habitué. Dont il ne se lasse pourtant jamais, contrairement à bien des choses dans sa vie. Les balades sous le vent qui vient caresser le visage, le murmure des vagues et leur appel ont toujours quelque chose de familier. De naturel dans cet univers où il n'était qu'un enfant parmi d'autre que l'eau absorbait une fois par mois pour l'embrasser, le chérir. Et puis le rejeter. Mais il savait, aussi, que jamais il ne survivrait dans un environnement lointain à la vision des vagues venant lui lécher le bout des pieds. Pas seulement à cause du dragon qui réclamerait le sel qu'elle avait à lui offrir sur sa peau, mais aussi simplement car le mal du pays se ferait trop grand. Il était un enfant entre deux mondes, Kazuha, depuis bien longtemps. Mais Uminomiya ne lâcherait jamais ce cœur qu'elle tenait précieusement entre ses mains.

Le regard se pose à retardement sur la figure abandonnée au bord des eaux, Kaiyo déjà jeté sur la jeune femme de ses pattes toutes sales et de sa langue humide. Il a un sourire, pourtant, sans se presser pour rejoindre les deux. Parce qu'il n'a pas l'intention de forcer sa présence à Tiffany. Parce qu'elle a l'air d'accepter le chien sans pour autant réclamer plus que cet instant de calme. Mais bientôt, le voilà qui les a rejoint et il la laisse tenter d'apprendre, encore, au toutou à donner la patte. Remarquant qu'elle n'est pas opposée à partager son bout de plage avec lui, Kazuha s'installe, se met cul dans le sable et souffle un peu avant de tendre la main vers le dos du chien qui se fait un plaisir de profiter d'encore plus de caresses. « I'm always up early. » Qu'il offre comme réponse avec un sourire sur le bord des lèvres, une sensation d'apaisement au creux de la poitrine. L'anglais sonne pratiqué, sans trop d'accent sinon les soupçons de sa langue maternelle, pourtant jamais vraiment pratiqué américain, anglais ou même australien, non, façonné dans les interviews et les questions intrusives posées à un homme de science. « They're used to me waking in the middle of the night going off to walk. Don't worry, you probably didn't wake anyone up. » Il tend la main vers l'animal qui lève ses grands yeux curieux vers lui. « お手. » Et l'animal, aussitôt, pose sa patte dans le creux de sa paume, lui valant un petit rire et un bisou sur le haut de son crâne plein de poils. « I can teach you some of the words he learned if you want to. »

Et alors il lâche le pelage de l'animal porte le regard sur le visage étranger à présent bien connu de celle qu'il commence à appeler une amie. Plus que vivre ensemble, Tiffany est une présence apaisante à sa famille. Peut-être pas tout à fait appréciée sur l'île, mais l'accueil des Shinohara aura eu le don de calmer les foudres qu'elle aurait pu s'attirer. Et quelque part, il était heureux que ses parents se soient proposés, la présence de la femme ayant toujours une touche de soleil et d'apaisement dans le tableau qu'était sa famille. « I get it. » Qu'il murmure, comprenant aussitôt de quoi elle parle. Et le regard se perd sur l'horizon, l'impression, parfois, que la peau démange d'écailles qui n'existent pas. La mer l'appelle chaque fois qu'il respire son air. L'océan lui tend les bras et il risquerait de s'y noyer d'amour, un jour. Tiffany ressent-elle cette même passion pour l'élément? Ou s'agit-il, dans son cas, plutôt d'un amour-haine incompris? Et il lui a déjà répondu, Kazuha? Lui a donné milles et unes réponses similaires parfois un brin différente. C'est qu'il s'agissait d'un spectre vague d'acceptation. Que parfois, le dragon était plus supportable que d'autres. « I was raised with people telling me what a blessing it was. Becoming one with the sea. It's hard to get used to it, but... Eventually, you just feel like the ocean is the only one to truly understand you. » Bien que sa façon de penser, à ce sujet, commençait doucement à changer à cause de Saebyeog. « I got used to it pretty easily. I was already sick. It was just... Another thing I had to live with. What's more difficult to deal with are the sensations. » Qu'il lâche en soupirant. Et le regard se fait sympathique, alors qu'il tourne un sourire se voulant rassurant vers Tiffany. « The sea calling for you. The waves dying to eat you alive. The will to taste flesh. All of these are just... Some random thoughts in the back of your brain and it's somehow worse than the transformation itself in my opinion. » Et en bon philosophe qu'il est de la poussière, en bon optimiste qui cherche à s'amouracher de la magie par passion, il hausse les épaules et ajoute : « Everyoboy outside of this island talks about it like it's a malediction. Truth is, it just opens new horizons to things they're blind to. The discovery of things is more interesting, once you change your perspective on it. »

Ce n’était pas prévu, lorsqu’elle avait échoué sur les berges de la résidence des Shinohara il y a des mois de cela, mais la présence de Kaiyo semblait être une ancre désormais nécessaire pour ne pas la laisser dériver. Animal de compagnie pourtant d’apparences anecdotiques, lorsque Kazuha et ses parents formaient le coeur de son nouvel entourage - mais Kaiyo joue le rôle d’un lien supplémentaire, une échappatoire, un appel à la paix, presque comme porteur d’un espoir et de foi en un futur plus optimiste.

Le chien blanc s’approche gaiement de Tiffany, sur la plage, poils et langue au vent sous la brise matinale - et comme la clef qui semble entrebâiller son coeur et ses émotions conflictuelles embouteillées, passer ses mains dans son pelage et simplement apprécier l’innocence tendresse d’un animal inconscient des enjeux qui l’entourent suffisent à apaiser quelque peu ses angoisses. Comme toujours ; et peut-être que Tiffany s’est attachée un peu trop, un peu trop vite à Kaiyo, pourtant le compagnon de Kazuha, dans son besoin de quelque chose à enlacer lorsque tout devient trop compliqué pour fonctionner en société.

Lui arrache des sourires sincères, alors qu’elle laisse aussi Kazuha s’installer à côté d’elle. On dit souvent que les animaux ressemblent à leurs maîtres ; et Kazuha comme le samoyède partagent cette aura de force tranquille, d’un optimisme serein qui lui ont été si indispensables pour traverser les dernières épreuves. Dieu sait où elle aurait échoué s’ils ne s’étaient pas trouvés sur son passage - la confiance tranquille de Kazuha, la gentillesse de ses parents, l’innocence rafraîchissante de Kaiyo.

Tiffany observe Kazuha lui montrer l’ordre que comprend le chien - en Japonais, bien évidemment. Aussitôt tente de reproduire les mots qu’elle entend. Oh-teh, répète-t-elle, sans pouvoir maîtriser un accent très prononcé. Et le chien se contente de la regarder sans bouger, langue pendue de ses airs bienheureux, arrachant un petit rire soufflé à Tiffany qui laisse retomber son menton sur ses genoux repliés. I should start learning some Japanese indeed, just for this handsome boy here, répond-elle à la proposition de Kazuha, avant d’enfouir une nouvelle fois ses mains dans la fourrure de l’animal. Tiffany fouille dans le sable un instant, pour lui jeter un coquillage à aller chercher au loin. Go get it! Come on! - et le chien s’élance, plus excité par la vue du projectile que par un ordre incompréhensible, pour aller se défouler plus loin sur le rivage.

Et l’heure est aux cœurs meurtris par les vagues. Raison même de sa présence si tôt sur cette plage, bien que Kazuha soit, lui, un habitué des aurores. Ses questions bancales, balbutiantes, trouvent des réponses qui semblent tissées d’une confiance et d’une force qui la laisse muette, à écouter les mots de Kazuha attentivement. Ses prunelles alternent entre les traits de son hôte et l’horizon. L’écho à ses sentiments est étrangement réconfortant - et Tiffany n’aurait pas pu croiser la route de meilleure personne que Kazuha, dans les circonstances. I got used to it pretty easily. I was already sick. It was just... Another thing I had to live with. Le rappel lui fait comme un coup au coeur, au milieu des confessions et de l’expositions de sentiments indescriptibles à quiconque n’est pas sujet à leurs afflictions. I’m sorry, souffle Tiffany entre deux pauses par réflexe. Elle, et sa tendance à oublier que Kazuha lutte contre la maladie, en plus de leur malédiction. Sans devenir un concours de malheurs et d’infortunes, les mots de Kazuha lui rappellent aussi à quel point sa force est tranquille.

Tiffany écoute jusqu’au dernier mot. Happée par les descriptions, qui résonnent dans son cœur et sous sa peau qui semble se hérisser de frissons bien trop familiers, qu’elle essaie de contenir, bras croisés sur elle-même. Laisse reposer un silence de réflexion après les derniers mots de Kazuha, pensive, sans trop savoir par quel bout démêler les fils qui semblent entraver ses mouvements. The ocean… it’s always been part of who I am, since I was a kid, you know. La voix presque murmurée, comme par peur de déranger l’aube matinale d’une plage déserte. I grew up close to the sea… it was just a normal thing for a lot of us on the west coast. I never really tied it with my mom’s family until I came here - I had no idea. Aucune idée de l’ampleur de l’histoire d’un peuple dont elle partage les gènes sans en connaître l’existence pendant près de trente ans, aucune idée de la place des éléments et de l’eau dans leur culture, dans leurs croyances, dans l’essence de leur magie. It’s been my thing. For so long. My safe place, my free time, my hobby, it was all about the ocean. And now… Ses mains se perdent dans l’air devant elle, pour venir les passer dans ses cheveux et les tirer en arrière sous la confusion des sentiments. It’s all turning back against me. My safe place turns into a trap that sucks me in every month, then rejects me back again. Tourbillon de pensées parasites qui corrompent son lien avec l’élément, aliénant tout ce qu’elle a toujours connu, remettent en question tous ses repères. It feels so… unfair. I love it, but I hate it at the same time. It feels like it’s just toying with me now, fooling me into being what I’ve always loved, just to make me feel unworthy of it all - and it feels like I’m not safe anywhere anymore, expire-t-elle en fermant les yeux, alors que les mots cristallisent peu à peu les six mois d’adaptation à ce nouveau mode de vie auquel elle ne peut plus échapper.

Sometimes, I just wish it would just keep me there. Intrusivité de ces paroles peut-être plus alarmistes qu’elles ne devraient être. Because when I’m there, when I let everything go, I feel like I belong… but I shouldn’t. Tiffany laisse retomber ses jambes devant elle sur le sable, mains jointes sur ses cuisses, comme baissant sa garde pour de bon sous le regard protecteur de Kazuha et Kaiyo. À s’étouffer presque de la culpabilité d’admettre ce qui lui traverse le cœur. How can I even think of giving up when I haven’t solved shit. How can I even enjoy the feeling when my sister is… Ne s’autorise pas la paix, ne s’autorise pas de penser à elle-même et ses propres émotions une seule seconde.

Mais étrangement, le simple fait de verbaliser ce qui la tirailler depuis des semaines semble alléger le poids sur son cœur. Tiffany s’interrompt pour croiser le regard bienveillant de Kazuha, laissant échapper un léger rire désabusé sous ses prunelles embuées par l’émotion et la frustration d’avoir gardé tout ça pour elle trop longtemps. C’est la première fois qu’elle s’ouvre de la sorte, qu’elle en parle autant, qu’elle creuse si loin. I’m sorry, you’ve probably been there already and it’s probably a bummer to have to go through it again, soupire-t-elle avec un sourire triste, s’essuyant un oeil de la main. You’re so good about it. Une sorte de modèle, son mentor dans la malédiction. I want to turn all of it into a strength. I don’t know, gain some control back to feel more… at ease. I would love to be more like you. Respirer cette force tranquille, savoir faire preuve d’optimisme et de philosophie dans l’adversité.

Et Kaiyo semble sentir que c’est son moment de briller, revenant joyeusement pour lui renifler le visage - y allant de sa léchouille même de son côté, les pattes poisseuses d’eau de mer et de sable, arrachant un rire spontané à Tiffany sous un reniflement de larmes menaçant de s’échapper à tout moment. But I feel really lucky, ajoute Tiffany, jetant une oeillade à Kazuha derrière la fourrure immaculée du chien qui vient prendre toute la place. I’m really thankful I ran into you. And you, ajoute-t-elle, venant poser son nez sur la truffe de Kaiyo, qui lui répond d’un nouveau coup de langue joueur sous un nouvel éclat de rire malgré la grimace de Tiffany.

Le regard ne quitte pas la figure accroupie, presque trop petite, qui tente de disparaître de l'espace que l'a vie lui offre, de Tiffany. Il est attentif à ses mots, à ce qu'il lui répond, au vent qui vient gentiment caresser leurs peaux. Et Kaiyo halète, seul bruit, pendant quelques secondes, qui semble le lier à cette terre. Sinon, Kazuha ne se serait-il pas déjà perdu dans les vagues, au rythme que celles-ci peuvent bien prodiguer ? Le chien se défoule et, s'il est parfois protecteur de son animal, il est bien au courant qu'entre ces mains là, il n'aura jamais rien à craindre. Quelque part, il se doute que sa boule de poils est une ancre que la jeune femme recherchait volontairement pour se sentir vivre un peu plus. Sourire tendre qui, enfin, orne ses lèvres. S'il peut être, lui ou Kaiyo, d'une quelconque aide ou réconfort, il ne dirait jamais non.

Tiffany s'excuse et, pour être honnête, Kazuha ne comprend pas pourquoi. Mais il ne relève pas. Ne pose pas de questions. Il a le sentiment que les gens cherchent sans cesse à s'apitoyer sur son sort, sur cette maladie qui lui bouffe l'organisme et finira insensiblement par le tuer. Kazuha, lui, n'a plus peur de tout ça. A appris à vivre avec. A se dire que s'il doit partir un jour, alors il le fera. Et voilà. Sa seule crainte résidait dans ceux qu'il laisserait derrière lui en faisant cela. Papa, maman, mais aussi Saebyeog, Anla et, maintenant, Tiffany. Peut-être qu'eux, ne s'y feront jamais. Mais lui, il préférait ignorer celleux qui prétendraient vouloir compatir à ce mal qui le ronge depuis sa naissance. S'il meurt, il préfère autant que la magie s'en charge. Ou que le monstre finisse par enfin le noyer. Peut-être ressentirait-il encore une fois ce sentiment d'appartenance, d'enfin correspondre, d'enfin être là où il aurait aimé être depuis tout ce temps. Dans l'océan.

Et cette fois, c'est à son tour d'écouter en silence. De tendre l'oreille et de laisser la voix de son amie le bercer. Dans son dos, les doux rayons du soleil encouragent les aveux à sortir et il sent une énergie nouvelle poindre dans sa poitrine. Douceur écailleuse, force lumineuse. Le matin et leurs murmures ont quelque chose de reposant. De revigorant. Et il est incroyablement heureux d'entendre Tiffany parler, de savoir que, peut-être, il pourrait l'aider dans ce changement dans sa vie. Et là, sur le sable blanc, Tiffany met à nu ses sentiments, s'exprime avec clarté et il a l'impression d'enfin ouvrir les yeux. Il la laisse terminer, fait rouler ses propres mots dans un coin de son crâne, fronce les sourcils, repose les paumes contre le sol, où les grains s'infiltrent entre ses phalanges. Et cette fois, il tourne le visage vers l'océan. Traitre ! Mère qui les accueille car elle serait prête à commettre l'infanticide ! A se nourrir de leur chair si cela pourrait la soulager. « I had this thougth, when I died. That, finally, I could understand what it meant to be part of a whole. That I'd never wake up again and it was a blessing. » Il se rend compte du sombre de ses pensées, offre un petit sourire désolé à Tiffany. « I changed my mind a bit, but it always strucked to me. The fact that I wasn't that far off of the truth. You're not the only one with that feeling of belonging. I do, sometimes, wish I was just water. And I hear the others cry with me. Somehow, I don't feel bad about it though, I try to remember I'm never alone, even if I am. I'd like to tell you that it isn't a trap, that all isn't so bad but I can understand where all these feelings are coming from. » Il tend la main, comme lui proposant de relier ne serait-ce qu'une seconde leurs âmes. De la rassurer. Car si il étreignait la main de Tiffany entre la sienne, se rendrait-elle compte à combien, maintenant, elle ne serait plus jamais seule ? « I'm sorry it had to be that way. But we're both in the same boat, at least, right ? You don't have to be alone now. » Sourire grimace, triste, il secoue la tête. « I understand you. And I'm quite sure your sister would understand, too. You don't have to be so angry at yourself. That's not fair. You have the right to feel relieved, sometimes. If only to help her better. »

Il secoue gentiment la tête, Kazuha, sourit de plus belle. Comme s'il s'agissait d'une gravure qui jamais ne s'effacerait. Comme si c'était inscrit sur ses traits. Pour elle, ce matin, c'était peut-être le cas. « We're all dealing with it differently. I might have been there, but it doesn't mean I'm totally in control of this part of my life. » Car la créature, parfois insidieuse, cherchera toujours à se frayer un chemin jusqu'à la conscience humaine. A lui arracher quelque parts de ce qu'il est. Et s'il a fini par faire la paix avec ce fait, il restait parfois trop dur de savoir se contrôler parfaitement. « You'll find it a bit cliché, but I'm pretty sure there's no better remedy than time. You'll learn to be at peace with it. You'll learn to control things or to live with it the way it suits you. » Il ricane un peu et secoue la tête de gauche à droite, l'amusement scintillant dans le fond de ses rétines. « Please, don't be like me. One's plenty enough. Even too much, sometimes. »

Et dans tout ça, c'est au tour de Kazuha de sentir les yeux s'humidifier. Il a l'impression qu'enfin, tout ce qu'il a jamais voulu arrive à ses pieds. L'impression que cette fois, ses mots toucheront quelqu'un qui en a véritablement besoin. Et pas seulement au travers d'un livre, non. Au travers d'une amie. Et il se félicite d'être là pour elle, si elle en a tant besoin. « I'm really thankful I ran into you, too. » Qu'il avoue d'un air un peu nostalgique avant de hausser les épaules. « Makes me feel less lonely with all those feelings, you know ? » Glissant une main dans le pelage de son chien, celui-ci venant se poser pile entre eux, tête entre les pattes, visage scrutant l'horizon.