⍖ wasted nights (senzo 1)

C’était pas prévu, ça. Senri, à la base, elle était juste partie faire un footing option privilège magique de pouvoir courir dans une région différente du pays chaque jour - mais le réseau a merdé, et maintenant - c’est elle, qui est dans la merde.

Décider d’oublier ce détail et profiter de la soirée sur cette plage grecque : c’est bien ce qu’elle a fait, à squatter le buffet de ces inconnus pour admirer la vue, même seule. À se laisser porter par la nostalgie de sa vie d’avant, quand elle pouvait encore explorer le monde à sa guise, avant que tout ne s’écrase dans un désastre piteux plombé par ses démons et sa santé mentale. Les verres s’enchaînent, le soleil se lève, déjà meilleure amie pour toujours avec quelques fêtards locaux qui n’ont pas vraiment compris ce qui leur arrivait. Senri se réveille sur un coin de canapé aussi tard que beaucoup d’autres, et c’est en fin de journée, le lendemain, qu’elle reprend un passe-miroir retour un peu avant les autres, toujours occupés à refaire leurs valises, sa gueule de bois en seul bagage.

Le miroir l’emporte et la crache sur le quai de la gare de kagami-goshi de Meiwa - elle manque de se casser la gueule, et la nausée lui retourne le bide au désarroi d’une poubelle qui n’avait rien demandé. Trop longtemps qu’elle ne s’était pas laissé complètement aller, comme si cette fois était la dernière, à juste titre peut-être ; lorsqu’elle passe les portiques au milieu de la nuit nippone, un décalage horaire dans les dents, c’est pour tomber nez à nez avec un comité d’accueil qu’elle ne connaît que trop bien. Igarashi-san, annonce sèchement l’un des flics sans aucun doute sur son identité. May I ask you to follow us, please. Senri roule des billes, se repassant une main dans les cheveux, lâche un rire désabusé. Always right on time for a date, how romantic, raille-t-elle face au brigadier qui ne moufte pas - et vite, bien qu’on ne lui passe pas de menottes, elle se retrouve encadrée pour filer vers le commissariat.


You do know four years with no infraction record does not excuse you of such behavior until your sentence legally comes to an end?

Soupir exaspéré, et Senri jette sa tête en arrière d’un air insolent, affalée dans le fauteuil en face de la Brigadière en charge de son cas. Shiga Kaori est d’une bonne vingtaine d’années son aînée, du genre direct sans détour - d’ordinaire, Senri, elle aime bien Shiga. Relation particulière bâtie autour de son craquage des années de celà, comme une daronne de substitution juste là pour lui taper sur les doigts quand elle merde, parce qu’elle connaît le dossier mieux que personne. Cette nuit, elle rigole zéro - mais Senri se doutait bien que cet incident de passe-miroir lui vaudrait des emmerdes. I know that. I was there a month ago asking for your fuck- your honorable permission to spend a week in Singapore, for Kosuzu’s sake, réplique Senri en roulant des yeux, mains s’agitant paumes vers le plafond. Shiga la regarde, pas convaincue. I keep telling you there was a problem with my mirror! ajoute Senri, levant légèrement la voix. C’est l'école all over again, à se faire taper sur les doigts par un prof pour un truc que cette fois, elle n’a pas fait. You could have taken another kagami-goshi back to Japan right away and alerted the authorities, mayhaps?! Senri râle une nouvelle fois, dans un grognement rageur. Abandonne la discussion stérile - elle veut surtout qu’on la laisse rentrer chez elle. Why the heck would I put my sentence on the line intentionally crashing a frat party full of kids! s’agace Senri. This is stupid and you know it, souffle-t-elle plus doucement en se passant les deux mains sur le visage. Can I have my phone back? Nouveau regard de Shiga, digne d’un parent qui a décidé de ne pas accorder la moindre confiance à leur gosse en plein acte de rébellion. Elle tend le bras vers le bureau, attendant le mouvement. To call someone to get me out of there, chill, soupire Senri en faisant les gros yeux.

Shiga semble avoir un moment de lucidité et finit par lui rendre l’appareil. But you’re making your calls from this very seat, prévient-elle, condition accueillie par un nouveau soupir de Senri. Yeah, sure. Nothing to hide, don’t worry, marmonne-t-elle avant de composer le numéro de Rei. Habitué à la sortir de ce genre de pétrin même malgré la fin de leur relation - ça sonne, un peu trop longtemps. Avant qu’il ne décroche d’une voix pâteuse d’un mec qui dormait déjà depuis quelques heures. Yo, Rei, uh. Shit happened, and I’m at the stati- …do you know what time it is, Senri? Uh-oh. Le ton ne sent pas bon. Yeah, I’m sorry, there was a misunderstanding and they don’t want to- You know what, no. Excuse-me? No, I’m not getting you out this time. I have work in the morning and I’m done babysitting you whenever you fuck up- Excuse-me??? What the fuck is wrong w- Good night, Senri. - et le bip de la sonnerie du téléphone résonne un peu trop fort dans on oreille.

Sonnée un peu qu’on lui raccroche au nez de la sorte - surtout venant de Rei. Senri scrute son téléphone en silence, les yeux écarquillés et moue sceptique sur le visage. Croise le regard de Shiga, qui semble bien trop heureuse de se retrouver aux premières loges de ce retour de flamme. Yeah well, he’s just really grumpy when he wakes up, réplique-t-elle avec un sourire exagéré sur le visage. Ça l’emmerde, piquée dans son ego d’avoir peut-être dépassé les bornes avec Rei - pour un truc qu’elle n’avait pas l’intention de faire. Et surtout - parce que ça ne lui laisse plus le choix. Obligée de ramener Taizo dans l’équation, lui qui voue une sainte horreur des flics et des commissariats, à peut-être même mettre ses activités plus ou moins légales en danger à attirer l’attention des autorités. Ça la gonfle, mais elle n’a pas d’autre option.
Senri pianote le numéro en réflexe, et Taizo, avec son rythme éclaté, répond tout de suite. Yo Tai. Uh. There is a situation and I… need you to come get me at the police station, elle balance du ton le plus détaché possible - forcément qu’il pose mille questions et râle, elle n’en attendait pas moins. Can you stop talking and get your ass down here please? I’ll explain everything, souffle-t-elle en tentant de garder son calme, en position de faiblesse - et de culpabilité de le mêler à cette merde. Thanks. Sorry. See you there. Raccroche en soufflant, avant de remettre le téléphone sur le bureau de Shiga - encore plus gonflée que quelques minutes auparavant, refusant d’essayer de se défendre plus longtemps.


Taizo débarque dix minutes plus tard comme une fleur, accompagné par un flic dans l’open space où réside le bureau de Shiga depuis la réception. Senri lui adresse un geste de la main, lèvres pincées de le voir enfreindre ses principes, forcé de remettre les pieds dans un endroit qui ne doit certainement pas lui manquer depuis les évènements quelques années auparavant. Hey. Assis devant le bureau comme un parent venu chercher leur gamine incontrôlable à l’école, Senri toujours affalée sur son siège, un pied sur le fauteuil. My old friend Shiga-san here does not believe me when I tell her there was a problem with my kagami-goshi and that I did not intend to leave the country without her graceful permission, étale-t-elle d’une voix exagérément polie, sourire faux sur le visage, les yeux jonglant entre Taizo et Shiga - pas très amusée par le ton employé, mais elle a l’habitude. Can you please tell the nice lady that I am not as stupid as to break my sentence before it legally runs out? Nouveau sourire faux à Shiga, jusqu’aux oreilles, alors que Senri se redresse un peu sur son siège, prête à se barrer d’ici dès qu’on lui en donnerait l’autorisation.

Duel de regards en chiens de faïence, dans un silence presque religieux. Senri patiente, sans rien ajouter - deux mages qui soutiennent le regard l’une de l’autre dans une scène digne d’un western spaghetti à en pleurer. L’une comme l’autre, refusant de perdre à ce jeu puéril à qui imposera son autorité la première, à qui flanchera la première - et pourtant, Senri, elle sait qu’elle a perdu d’avance. Assise du mauvais côté, aucun insigne rutilant sur sa poitrine, aucun uniforme. Juste des fringues de sport sales qui ont presque fusionné avec sa peau et qu’elle a hâte de pouvoir retirer pour enfiler quelque chose de propre et de plus confortable.

Taizo brise leur petite bataille silencieuse en déboulant dans le bureau avec des grands mots dramatiques, comme seul Taizo en a le secret - et visiblement arraché, ça s’entend, le genre de détails que Senri remarque à peine quelques syllabes prononcées. Le genre de détails qui passe au-dessus de tous les autres mages du bureau, parce qu’il est quand même assez fort quand il s’agit d’être insupportablement théâtral et vous faire oublier toute autre suspicion.

Senri regarde Shiga d’un air satisfait un instant, et puis Taizo… fait ce que Taizo fait d’ordinaire. I think you will agree with me that it is precisely because she is as stupid, that Igarashi-san here, wouldn’t never have been able to tamper a kagami-goshi in order to leave, qu’il roucoule comme un pseudo-avocat pas très mur, et Senri se tourne vers lui avec une mine outrée. Oi, proteste-t-elle en lui calant un léger coup de pied dans le tibia depuis sa chaise, avant de se reprendre. Pas vraiment en position de râler, ni même de se montrer incorrecte, alors que la moindre incartade lui donnera probablement simplement un accès all-inclusive à la garde à vue. Aucune envie de faire chambre commune avec les vieux mages shootés à la K en train de faire un concours de cris de hibours au rez-de-chaussée.

Plus ça va, plus Taizo se plaît dans son nouveau rôle - et si Senri ne le savait pas complètement réfractaire à tout contact avec le système judiciaire depuis qu’il est en âge de dealer, elle pourrait presque l’y voir, à la barre. Bien plus sympathique que cette pisse-froid de Honda, pour sûr. Oh great great er… Shiga-sama, who got the power to track her so easily - after being so reasonable for four years? Senri brise sa carapace impassible pour lui jeter un regard dégoûté face au suffixe honorifique bien trop exagéré pour être sincère, flirtant presque avec l’obscénité. Plus, between you and I (and Senri), I’m the brains of the two of us, as you can tell. She would have asked me for a better plan. Oh fuck off Kobori. Mais elle se retient de rajouter encore des vulgarités en guise de cerise sur le gâteau. Yeah, right, we got it, I’m stupid, just cut the crap now, tranche Senri avec un soupir en se passant la main sur le front de dépit. C’est pour ça qu’elle appelle Rei en premier, bordel. Pourtant habituellement adepte des stratagèmes alambiqués et plus ridicules les uns que les autres pour se sortir de situations délicates (ou, qu’on se le dise, tout bonnement casse-couilles), face à la brigadière en charge de son dossier, Senri n’a pas d’autre choix que de faire profil bas.

Taizo aussi a l’air d’en avoir ras le fiak - tout comme Shiga. Tout comme Senri, qui reste cependant silencieuse pour ne pas aggraver son cas. On another note. Don’t you have more serious things to do than to nitpick on a defective kagami-goshi? The one I just took brought me three blocks further than it should have, ajoute Taizo exactement sur le même ton, mais venant enfin aux arguments convaincants. Senri se redresse immédiatement sur son siège, sur lequel elle commençait presque à s’avachir comme une ado en fusion avec le cuir du fauteuil, telle un diable sortant de sa boîte. See?! elle s’exclame peut-être un peu trop fort, se penchant vers le bureau pour poser une main dessus. Why are we wasting time talking about me and my stupid sentence that I have scrupulously respected for the past almost-four years, when you can just send one of your goons to che- Everyone just shut up, for the Founders’ sake, tranche Shiga, exaspérée, avant de se masser la tempe d’une main.

Senri se tait, et se rassoit dans son fauteuil, le regard noir. Soupir las de la brigadière qui ne doit probablement pas gagner assez de dama pour gérer ce genre de cirque au milieu de la nuit. Un mage entre alors dans le bureau pour lui faire signe, hochant la tête, avant de disparaître. Shiga griffonne alors une note sur sa paperasse, sous le regard insistant de Senri, alors que Taizo se lève déjà pour se barrer en faisant une révérence théâtrale de plus. You’re in luck. My team went to check mister- Moment d’hésitation alors que la brigadière ne semble pas connaître Taizo, à l’inverse d’un certain nombre de mages dans le bâtiment. Ketsuno, réplique Senri en esquissant un sourire narquois à lui trouver le faux nom le plus ridicule qui soit. Ketsuno Kusasuke. Shiga lui jette un regard las, ne prenant même pas la peine de relever ses enfantillages, alors que Taizo doit sans doute afficher un air offusqué dans son dos. We received confirmation of reported failures in the mirror network, so you’re off the hook this time. Finally, thank Kosuzu, souffle Senri en se levant immédiatement de sa chaise pour reprendre ses affaires et les fourrer dans les poches de sa veste. But next time, we ask you to return immediately to the islands instead of… taking your time with some… careless partying, ajoute Shiga en lui donnant son meilleur regard autoritaire. Yeah, sure, right, will also make sure I bring you a souvenir back, elle souffle en roulant des billes, signant la paperasse tendue sur le bureau et se diriger vers la sortie. Let’s get out of here, glisse Senri à Taizo, avant de quitter le bâtiment qui les recrache dans la nuit des trottoirs rutilants de Mirai-chō.

Senri s’étire, laissant échapper un couinement soulagé d’être enfin libre après tout ce bordel. Fuck these assholes, lâche-t-elle alors avant de s’éloigner du commissariat pour se diriger… où au juste, aucune idée. Juste loin d’ici. Thanks for coming in, elle lance à Taizo sur un ton un peu plus sérieux. Elle sait que c’est pas sa came, et elle aurait évité de l’appeler, si elle avait eu le choix. Ice-cream? Chuhai? lance Senri en ralentissant le pas pour désigner un conbini de l’autre côté de la rue du pouce. I’m buying, ajoute-t-elle avec un léger clin d’oeil. Dissimulant aussi son léger embarras derrière une économie de mots et un retour à des habitudes familières.

Néons aveuglants de la supérette déserte, simplement rythmée par le son de la bande-son corpo - une version boîte à musique d’un truc idol connu qui date un peu, ce groupe avec leurs froufrous holographiques qui faisait rage il y a quelques années - et Senri n’hésite pas dans les rayons. Attrape deux glaces dans le congélateur, dans un choix très précis dans les marques et les saveurs par habitude, puis deux grandes canettes de chuhai à l’ananas, classique estival. Remercie le mage derrière le comptoir. Ressort dans la nuit noire.

Ils finissent par se poser dans un parc minuscule au coin d’un block, juste derrière le conbini - se dirigeant directement pour un tourniquet pour enfants abandonnés dans l’obscurité, Senri étalant ses jambes devant elle pour ouvrir son cocktail dans un pschitt métallique familier. Kanpai, elle lâche en trinquant avec Taizo, avant de descendre une large gorgée ponctuée d’un nouveau soupir de soulagement. Sorry I had to drag your ass down there, ajoute-t-elle, sincère. Elle sait. I think I may have burnt my last card with Uchida. Dont le ton ne présage rien de bon - elle a sans doute encore franchi la limite, comme d’habitude. Celle qu’elle a tendance à écraser un peu trop facilement avec ses conneries, celle qui marque aussi la fin de ses relations avec les gens. Seems like it’s yet another ex I scared away, soupire-t-elle, à moitié sérieuse - comme si elle inspirait vraiment la peur, comme si c’était une histoire d’intimidation et pas une histoire d’espace personnel ou de lassitude de ses frasques à répétition. Cheers to them, elle fait en levant une nouvelle fois sa canette pour descendre une nouvelle gorgée.

Three months left until this bullshit is over. Trois mois avant la marque des quatre ans depuis la décision du tribunal quant à sa punition - trois mois, et elle est libre. Plus de brigadiers au cul, plus de fliquage, libre de se barrer quand et où elle veut à nouveau. Mais trop d’eau a coulé sur les ponts, à passer ces années à se mêler des affaires de tout et tout le monde à Meiwa - et Senri, posée dans un parc avec un chuhai et un bâton de glace au milieu de la nuit avec son meilleur ami comme autrefois, face au dégoût visible de Taizo confronté aux flics, face au poids de tout ce qu’elle a loupé et laissé faire quand elle était trop occupée à fuir… Senri, elle porte son masque, mais elle est aussi peut-être moins sûre de savoir si repartir est une bonne décision.

Et face aux émotions et aux questionnements trop lourds pour qu’elle puisse les supporter plus d’une fraction de seconde, elle fout un coup de coude à Taizo qui manque de se cracher dessus. Also what the fuck was that earlier! elle ronchonne pour la forme et pour la blague. I’ll give you a seven out of ten. Convincing, but could use a little less derogaroty terms about your client in your closing arguments, elle raille avec une grimace, passant volontairement sur le faux nom stupide qu’elle lui a affublé auprès de Shiga - à moitié en guise de revanche, à moitié parce qu’elle sait que plus Taizo se tient loin des forces de l’ordre, mieux c’est, quitte à éviter que tout le monde connaisse son blase.

Yeah, well - wouldn’t have let them have you. À peine sortis du commissariat que la pause est brève - et Senri ne peut pas s’empêcher de revenir à ses conneries, alors qu’elle affiche une expression exagérément émue, mains sur le cœur, face à la grandeur d’âme de ce sentimental de Taizo. Retour à la normale, et le commissariat semble lentement s’effacer derrière eux au fur et à mesure qu’ils creusent la distance. Se chamaillent à mi-voix dans le conbini lorsque Taizo joue au malin jusqu’au bout à agiter un magazine joliment décoré d’une idol en bikini - et le calme revient, dans ce parc désert du milieu de la nuit.

Les canettes trinquent dans des gestes habitués, qu’ils ont répétés des centaines de fois depuis maintenant plus de vingt ans - à une boisson près. Habitudes confortables, même pour une Senri incapable de tenir en place. C’est un retour aux sources inévitable, peu importe où le vent la mène - où qu’elle aille et peu importe le temps passé ailleurs, comme si elle était vouée à toujours revenir sur leurs terres, sur l’archipel, dans les pattes de Taizo.

Senri esquisse une confession dépitée sur son appel à Uchida plus tôt, justifiant par la même occasion son dernier recours. Elle sait que Taizo déteste les flics, mais pas le choix. He went all grumpy asshole on me and was like, duh, I’m done babysitting, or some shit like that, résume Senri en haussant les épaules. Kinda sounded like your oyaji, ajoute-t-elle avec un léger rire dans la voix. Derrière sa boisson, c’est peut-être aussi son ego qui s’effrite - de n’avoir pas vraiment causé cet incident volontairement, cette fois. De ne pas vraiment être responsable de ce qui a fait déborder le vase. Un peu blessée que son ex lui prouve encore une fois qu’il ne lui fait pas confiance - peut-être ne lui a-t-il jamais donné ce crédit, finalement. Senri a la fierté mise à mal, derrière son masque, confrontée à la solitude extrême de la fin de cet appel lorsque Rei n’a pas hésité à lui raccrocher au nez. Only the besties stay longer than the exes! balance Taizo pour couper à ses pensées, à qui elle jette un regard incrédule. The fuck does that mean, rétorque-t-elle en fronçant les sourcils derrière sa boisson, avant que Taizo ne décide finalement de ne pas aller plus loin avec sa déclaration. Yeah I just made that up. Doesn’t mean anything. Senri laisse échapper un rire spontané. You’re a wacko, commente-t-elle en secouant légèrement la tête - avant qu’un geste n’attire son attention.  

Elle le regarde sortir son joint à moitié fumé, sourcils froncés et mine grimaçante. Elle n’a jamais aimé ça, Senri. Cette merde, ça le déconnecte, dans son malaise de voir son meilleur pote lui échapper entre les mains pour devenir l’ombre de lui-même une fois qu’il commence à planer. When are you finally going to let me show you how to close up your fucking bird brain so you won’t need any of that shit anymore, râle-t-elle avec un soupir. Sans agir non plus - il a passé l’âge de se taper un sermon. Il sait, aussi, que ça les lui brise. Senri se contente de grommeler, faute de mieux, parce qu’elle n’a pas assez pour être vraiment convaincante.

Soupir. Bientôt la liberté. Elle n’entend presque pas Taizo commencer une phrase que Senri se sent obligée de relancer une blague, commentant la plaidoirie limite offensante de Taizo face à la brigadière. It was convincing because it was accurate, qu’il se défend, I doubt you’ll do better the day you gotta save my ass from these wankers. Senri se redresse avec un rire de défi. Oh yeah? Ne jamais lui proposer un challenge. Just try me, provoque-t-elle alors en posant sa canette sur le tourniquet et ouvrir les bras.

Et Taizo part dans son tourbillon délirant - et comme toujours depuis des années, Senri, elle l’observe. Contemplant le tableau sous tous les angles pour savoir quand et comment s’immiscer sans couper court à sa mise en scène kaléidoscopique. All reunited for the defense of Ketsuno Kusasuke, accused to kill with just a fart, qu’il commence avec une voix théâtrale, laissant échapper un rire à Senri qui manque de s’étouffer avec son Garigarikun. But I was forced to eat all this cabbage, Shiga-san, they made me do it! chouine-t-il, continuant sur sa lancée, sous le regard amusé de Senri qui ne dit rien et se contente de profiter du film. Ce mec est complètement frappé, et c’est sans doute exactement pourquoi elle est encore là. Elle sirote sur son chu-hai, avant que Taizo ne l’attrape par le col en braillant tout d’un coup. TeLl ThEm SeNrI-SaN!! ThAt I NeVeR InTenDeD To DrOp ThAt BoMb!! THEY MADE ME!! Secouée comme un prunier, manquant de se cracher dessus, Senri pose sa canette de côté et se débat d’un bras libre comme pour chasser un moustique. C’est une fois calmé qu’elle lui jette un regard en silence, étouffant un rot en détournant le visage une seconde, mains en l’air - et il sait, qu’elle s’apprête à renchérir.

Senri se relève pour se mettre debout face au tourniquet, et s’éclaircit la gorge. By this accusation, isn’t the plaintiff assuming that all people painfully suffering from aerophagia are killers in the making? commence-t-elle de sa meilleure voix pompeuse, dans un choix de mots empruntés à un domaine qu’elle côtoie un peu trop souvent à son goût. Devant une audience invisible, au milieu de ce parc, Senri devient avocate-requin, malgré les fringues de sport sales et les joues rosies par l’alcool qui commence à faire son chemin. Isn’t this offensive, and terribly stigmatizing to the dozens of innocent people who just wish to eat fiber and still pass gas in peace without causing any harm? poursuit-elle en affichant sa meilleure mine faussement inquiétée, faisant les cent pas, avant de se tourner vers Taizo et lui faire face, pieds plantés dans la terre. My client is innocent, your honor. His actions were merely motivated by a vital need of relieving themselves in a situation of intense stress, which I am sure, everyone in this trial can relate to in some way. Senri marque une pause beaucoup trop dramatique pour être sincère, avant de faire volte-face et pointer du doigt un Taizo qui semble jouer le rôle d’accusé, de juge et de plaignant à la fois. I could picture you, Shiga-san, interviewing a key witness in a once in a lifetime investigation. It’s time to unleash the beast. But because we are all very aware that police officers are bearing the consequences of low fundings and reduced workforce from poor ministerial decisions, you had to cut your lunch break short because someone has to cover for that. Nouvelle pause, alors que Senri s’approche d’un pas de plus vers Taizo, pour planter son visage face au sien, les mains de chaque côté de ses épaules, appuyée sur la structure métallique du tourniquet derrière lui, avec un sourire aussi confiant qu’exagéré sur les lèvres. You had to quickly chug down your bottle of sparkling calpis, causing terrible stomach reflux that you could no longer contain due to terribly painful stomach cramps. And as understandable the outrage that turmoiled your key witness was to the point of them refusing to speak with you, further delaying the investigation and missing a critical opportunity of apprehending a suspect - would you say YOU are responsible of this failure? Elle débite sans hésiter, sans s’arrêter, presque convaincue par sa propre plaidoirie, aussi ridicule soit-elle. Or should we blame it on carbonated drinks? Unless- Senri se redresse pour faire face à son public invisible une nouvelle fois - and I know you are all thinking of the same thing right now - retour face à Taizo - it was the administration, higher-ups and ministers making decisions without consulting their people and their workforce. All cogs of a massively broken system that forces people like you, like me, like Ketsuno-san here, to bear the responsibilities of the direct consequences of their wrongdoings, termine-t-elle.

Avant de laisser un silence, et s’affaler de nouveau sur le tourniquet avec un soupir. Okay now I’m tired, ricane-t-elle en abandonnant toute théâtralité qui soit. S’attendant à des applaudissements peut-être, pour son investissement et l’effort dans le propos social dissimulé sous sa tirade ridicule. Sentenced to exile. Best outcome. Senri affiche une mine outrée. As if you were going to ever leave your froghole, glisse-t-elle en récupérant son chu-hai. Also, this was a very convincing plea, give me more credit than that! ajoute-t-elle ensuite - outrée qu’il ne mise pas un dama sur sa plaidoirie au point de se voir déjà banni de l’archipel. Hope you’ll come see me among your many trips, qu’il ajoute, ce à quoi elle souffle un rire sceptique en croissant son haussement de sourcils scabreux, se penchant légèrement vers lui pour répliquer. The day you end up single AND with a lifetime sentence, then maybe I’ll play nice and volunteer for your conjugal visits, rétorque Senri d’un ton faussement précieux, sans pouvoir retenir un nouveau ricanement face à la conversation.

Tourbillon de discours faussement grandiloquents qui retombe - et Taizo semble presque se calmer, comme ça, tout d’un coup. Hey Senri. Hmm. When your sentence is over… Yeah what? Would you- take me with you sometimes? Out there? Senri s’interrompt dans son geste pour se tourner vers lui, sincèrement surprise par le sérieux de sa voix. You? Travelling? Il n’a jamais demandé ça comme ça par le passé, toujours occupé - ou trouvant toujours une bonne excuse pour rester sur l’archipel. Off the islands? Elle s’assure d’avoir bien compris, Senri, parce qu’elle n’a jamais encore entendu Taizo poser ce genre de question de manière aussi sincère. I think I’d like to see the world. Have another perspective. Well now that’s new. Elle ne peut s’empêcher de le scruter d’un air incrédule, comme s’il avait perdu la boule. And not only from you, because you’re a terrible storyteller. Et comme ça, le ton reprend ses petites habitudes aussi - l’arrachant de sa réflexion perplexe pour lui décrocher un rire. Fuck you Kobori! raille-t-elle en le poussant d’un coup sur l’épaule. Just ask Anla, I’m telling stories just fine, proteste Senri par pure fierté (alors qu’il a probablement raison - de eux deux, c’est lui le conteur du village, pas elle).

Son rire s’évanouit dans un léger écho au milieu du parc désert, avant de reprendre un sérieux comparable à la question originale. Who d’you think I am, fait-elle, sans aucune animosité ou ironie dans la voix. Do you even remember your birthday or was that one blunt too many? ajoute Senri en lui calant une pichenette sur le front du bout des doigts. Singapour cette année, les quelques autres par le passé - tant qu’elle a pu et obtenu l’autorisation, ça ne l’a jamais rebutée de l’embarquer à droite et à gauche, même sans aucun artefact magique dans l’histoire. Pas tant par obligation que parce qu’elle aime bien l’avoir dans les pattes, Taizo, avec sa tchatche bizarre et ses délires hypnotiques - elle qui voyage pour ne pas s’ennuyer, pour finalement se dire que ce n’est pas vraiment la destination qui fait l’intérêt de ses aventures. That’d be pretty cool, elle admet finalement, secouant légèrement sa canette pour juger du fond de chu-hai restant. You’d enjoy South America. Tons of weird reptile-frog-looking shit, plants that constantly want you dead, and festive booze to get wasted at night, ajoute-t-elle avec un sourire insolent et un léger hochement de tête, remplaçant une mèche échappée de sa queue de cheval désordonnée par la trop longue journée derrière une oreille toujours quelque peu proéminente. Parce qu’elle y a souvent pensé, finalement, d’où elle emmènerait Taizo si un jour il se décidait à sortir le nez de ses alambics et ses champis.