I counted miles [Kelvie]

C'était une belle journée. Depuis le début de la semaine, son référent de stage -et tortionnaire personnel- était en congé. Il n'était plus là pour s'approprier ses idées sous prétexte qu'elle essayait trop de se mettre en avant. A croire qu'il prenait comme une offense personnelle le fait que son nom de famille soit sur le bâtiment. Il semblait persuadé qu'elle n'avait aucun talent et rien ne l'en faisait démordre. En son absence, Evie respirait à nouveau, libre de travailler à son rythme sur les projets innovants qu'elle avait gardé sous le coude. La cerise sur le gateau étant qu'il ne reviendrait qu'à la mi août. Trois semaines de répit. Un bonheur. La seule ombre au tableau était le couvre feu instauré sur Meiwa qui limitait ses journées déjà auparavant surchargées. Elle devait à présent transporter tout son matériel à la maison pour tester ses derniers sorts et améliorations. Des contretemps fâcheux lorsqu'on travaillait sur des délais aussi serrés. Son sommeil s'en trouvait donc limité mais la demoiselle ne s'en plaignait pas. Elle n'avait plus dormit beaucoup plus de quatre heures par nuit depuis février de toute façon. La peine d'abord, puis les cauchemars, l'assaillaient lorsqu'elle fermait les yeux. Les boissons énergisantes et la caféine -qu'elle haïssait jusqu'alors- étaient devenus de précieux alliés.

Evie avait d'ailleurs décidé de se recharger en Chai Latte dans le café le plus proche de ses bureaux. Il était midi et elle en profiterait pour s'offrir un déjeuner sur le pousse. La file d'attente était plutôt longue mais cela lui permis de se vider la tête. Bientôt, la barista lui tendit le St Graal avec un sourire de circonstance. Un pourboire plus tard et l'Anglaise était de nouveau dehors.

C'est alors qu'un frisson parcourut son corps. Comme un avertissement que quelque chose allait se passer. Une réaction purement physique, électrique, à ce qu'elle prit comme un danger imminent. Tournant sur elle même, elle finit par avancer de quelques pas, attirée malgré elle par une silhouette. Au loin. Ca ne pouvait pas… Non. Encore un mirage certainement. Elle avait bien souvent cru l'apercevoir au détour d'une ruelle ces derniers mois. Evie s'en défendait mais elle l'avait cherché. Elle avait espéré qu'il reviendrait au bout de quelques jours avec une explication. Que les messages et les appels n'avaient été ignorés que parce qu'il avait cassé son téléphone. Qu'une urgence l'avait attiré au loin. Les jours s'étaient fait semaines, puis mois. Les sanglots se transformaient en larme puis en silence. Sa réclusion s'était terminée et elle avait peint un sourire sur ses lèvres jusqu'à ce qu'il redevienne naturel. Non. Il ne pouvait pas être là. Pas maintenant.

Et pourtant au fil des pas son profil se dessina. Comme un fantôme du passé. C'était bien lui. Evie se figea sur place et c'est elle qui se fit ectoplasme. Elle ne parvenait pas à détacher son regard de cet homme qui l'avait abandonnée sans un remord. Sans une explication. Ses doigts se crispèrent sur son gobelet si bien qu'il s’écrasa entre ses doigts, lui brûlant l'épiderme. Un comble quand on maîtrisait l'élément sournois du feu. Evie ne réagit même pas. Son esprit peinait à se connecter à une réalité qu'elle ne comprenait pas. Il était là. Tranquillement attablé. Et il n'était même pas venu la voir. Sa colère couvait doucement, comme des braises encore rougeoyantes. Il avait fini par la remarquer et, un instant, elle envisagea de fuir. Ses jambes refusèrent de lui obéir et elle resta bêtement les yeux rivés sur lui, la main rougie. Une brise agita le gobelet à ses pieds qui, lui, pu fuir la tragédie.

Son nom de famille roula sur sa langue et elle en voulut à son coeur, ce traitre, de rater un battement. Pour compenser cette réaction instinctive, son regard se fit plus dur et ses poings se serrèrent malgré la douleur. C'était bien. La brûlure lui rappelait tout le mal qu'il lui avait fait et à quel point il lui avait fait du mal. Elle reléguait au second plan son coeur guimauve et les images stupides d'un Kell endormi, de la chaleur de ses lèvres sur les siennes et du sentiment de sécurité qui l'habitait à ses côtés. De l'amour qu'elle ne lui avait jamais avoué. Avant qu'il ne gâche tout. Une idiote, voilà ce qu'elle était. Hier comme aujourd'hui. Elle ne dit rien, restant statique. Jusqu'à ce que sa dernière phrase ne la percute comme une balle, enflammant les braises. "You're back… YOU'RE BACK???" Ses poings martelèrent sa poitrine, incapable d'atteindre sa joue, l'un d'eux tachant le tissu sans qu'elle n'en éprouve le moindre remord. "How dare you? You can't just bump into me and act like you didn't ABANDONED me all of a sudden. No text. No news. Nothing. For months." Il avait brisé son cœur déjà bien amoché et se représentait devant elle avec la même désinvolture. Elle aurait voulu lui dire qu'elle le détestait et qu'elle ne voulait plus jamais le revoir. Tout ce qu'elle réussi à ajouter fut un faible "Why?" Pourquoi lui avoir fait subir ça ? Pourquoi avoir brisé ses défenses pour lui tourner ensuite le dos? Pourquoi revenir maintenant qu'elle allait enfin mieux?