cool about it (naveen).

L' odeur du café débordait de la pièce. Chaud et presque chocolaté, l'arôme se propageait de tasses en tasses blanches, des exhalaisons pâles s'étirant dans l'air. Neela était entrée, par recommandation trouvée sur le net, un sourire allégeant la nervosité de ses traits...partout, autour d'elle, des fleurs éclataient leurs couleurs, des plantes s'entrelaçant entre elles de vert émeraude, grimpant sur les murs - tapant contre les sièges des chaises. Elle pensa reculer, partir ailleurs, l'omniprésence de la verdure acidulant l'arrière de sa gorge mais la serveuse venait déjà vers elle, flamboyante d'un tablier rouge et de cheveux blonds. Try to keep your cool, Neel.
- "Hello! Welcome to Ordinary. Would you like a sit?"
- "Hm...yes, thank you. For two people." ses doigts affirmèrent le chiffre. Son rictus quelque peu gêné creusant une fossette sur sa joue, elle se laissait guider par la sorcière devant elle.
Une fois assise, elle commanda deux cafés lattés.
Elle avait l'impression que les feuilles pouvaient l'observer, s'intriguer de ses respirations, voler ses idées et jouer avec...certaines se balançaient doucement de leur propre grés, d'autres resplendissaient de teintes exaltantes. Kayn aurait pu les nommer, pensa-t-elle, l'horreur de la réalisation sonnant quelque-peu sa cervelle. Il aurait pu les nommer et lui expliquer en détail pourquoi elles étaient si extraordinaires, et l'amertume lécha son palet - encore, la simplicité qu'il lui avait volé, le comfort qu'il lui avait arraché des bras, cette longue nuit noire d'hiver.
Le bruissement des paroles dans le café se mêlait à celui assourdissant des machines, des tintements légers de porcelaine frappant le bruit ambiant. Neela ne s'autorisait que rarement des sorties dans cette partie de la ville, encore plus rarement une tasse chaude de café - les poches semblant être sans cesse trouées, le peu de monnaie récoltée se faisant avaler par la machine qu'on appelait la "grown-up life". Pourtant, elle adorait le liquide âpre, s'en délectait, ayant appris à le réaliser elle-même aussi pauvrement que possible. Mais si l'homme qu'elle avait invité était bien celui qu'elle espérait, elle n'aurait pu lui proposer son thermos rouge trainant dans la boite à gants de sa voiture.
- "Your order, miss." la serveuse déposa les lattés sur la table, avec toujours, ce même sourire amiable que la Barker s'essayait à avoir elle-même à son travail. Elle aurait voulu lui attraper la main et lui dire qu'il était inutile de se forcer en sa compagnie, elle aurait même rit disant qu'elle comprenait la fatigue et la paresse...cependant, peut-être que ça n'était que Neela. Qu'elle seule qui détestait chaque métier qu'elle attrapait parce qu'elle avait l'air de courir pour survivre; la blonde semblait être à son aise.
- "Thank you."
Et sans attendre, le fluide glissa dans sa gorge - amplifiant les battements de son coeur, grossissant les veines sous son épiderme. Son téléphone vibra, une fois puis deux - mais aucun message de Naveen...la sorcière déposa un livre devant elle, songea à l'ouvrir, ses doigts tapotant sur la couverture, mais ils agrippèrent de nouveau la tasse. Elle se souvenait de ses rires quand il l'avait entrainé sous les gradins du terrain, there, back in Salem...et du goût de son propre gloss qui s'emmêlait à sa langue lorsqu'ils échangeaient des baisers dans l'ombre des marches. Il avait laissé des turbulences dans ses tripes, avait enterré des papillons vivants dans les entrailles de Neela...et quand ses yeux noirs croisaient les siens dans les couloirs, elle pensait que ses genoux la trahiraient. Puis l'odeur de ses cigarettes - celles qu'il allumait dans leur cachette préférée, des répétitions de cheerleading parvenant jusqu'à eux. La flamme incendiant brièvement les traits de son visage, du rouge en guise d'aquarelle. Un coeur jeune et vif insufflant des confusions dans son esprit candide...ils savaient, au fond d'eux-même, qu'ils ne finiraient pas devant un autel, le drapé blanc d'une robe enveloppant leurs pieds. Mais à cet instant, dans l'innocence de l'adolescence, même une minute semblait pouvoir s'étendre sur une éternité.
Il y avait de la douceur dans ces souvenirs, un brin de nostalgie pour l'idiotie qui commandait ses neurones à l'époque. Un fin sourire éleva ses lèvres, un soupir quitta ses narines...
Puis il apparut et quasi-machinalement, elle se leva, ses bras grands ouverts devant elle. "It's really you !" cria-t-elle presque dans le café, l'effervescence de l'instant bruissant dans son crâne. Il était là, toujours aussi beau...too cool for school, still. Puis elle l'enlaça par réflexe. "Oh my! You have grown!" il la surplombait de deux têtes, au moins. Et ses yeux rencontrèrent les siens, toujours si noirs...Neela aurait pu en pleurer, là devant lui, ses mains auraient caché son visage, ses épaules auraient frissonnés, les pans de sa robe auraient gonflé de joie comme les pétales de ces fleurs qui hantaient l'espace. Tellement, tellement elle était heureuse de retrouver un bout de son adolescence, un bout de son innocence. Elle l'étreignit de nouveau, ses bras s'enroulant autour de son corps, avant de le relâcher et de le laisser s'asseoir en face d'elle. "This one was just for the paparazzi. A girl has to have her minute of fame." et la malice reprit les marbrures de sa voix, du contour de ses yeux. "I've ordered you a latte, if that's alright." sa tasse à elle était déjà presque vide, la caféine tapant dans son système et conduisant ses ongles à tapoter de nouveau le livre.

Cela faisait des heures que son intranet clignotait de dizaines de notifications de tous les services de son entreprise. Ophiuchus était dans la tourmente et ce, à cause de l’entreprise chargée de la mise en vente des billets de l’artiste phare du label. Un véritable fiasco qui durait depuis neuf heures ce matin là. Enfin, la musique d’attente cessa. Il avait été bringuebalé de ligne en ligne, intercepté par des assistants en tout genre, si bien que sa patience déjà limitée avait été épuisée. “Hey Rich’, hope I’m not interrupting something. Since, Y’now… I’ve been trying to reach you since the morning.” Paroles pleines de fiel et ton faussement doucereux. “Care to explain why on earth my most important sale of the year is a complete disaster?” Un long silence s’en suivi, finalement brisé par un toussotement gêné. “You know how it can be… One of our third-party provider messed up and… we have… issues solving the problem. We interrupted the sale to fix it.” Un rire sec m’échappa. “Oh wonderful. You’ve interrupted the sale so everything’s fine. The fans are not disappointed, I’m not losing money over YOUR fucking mistake. Do you know how much my company invested on this tour? If the sale isn’t up and rolling within three hours, you can kiss my ass goodbye and your company won’t see even ONE of our artists. Ever again. I’ll launch my own selling company if I have to, understood?” Et il raccrocha sans autre forme de procès.

Attrapant sa veste, il fourra son téléphone dans sa poche. En quittant son bureau, il fit un saut par celui de son assistante Fumiko. “They’ll handle the problem. I’m out for a few hours. I’m counting on you to filter the calls. Byebye.”

Quittant Chuo-Koei, il réapparu quelques instants plus tard à Shinmeidai. Son rendez vous avec Neela ne tombait pas au meilleur moment mais une promesse était une promesse. Il espérait que sa menace ait été suffisante pour que Richard Maddox se sorte les doigts de l'arrière-train. La balle était dans son camp.

Lunettes de soleil sur le nez, il se planta rapidement devant le café à la verdure ostentatoire, vérifiant plusieurs fois sur son téléphone qu’il était à la bonne adresse. Une fois convaincu, il franchit le seuil, scannant la zone du regard à la recherche de Neela. Il reconnut tout de suite sa silhouette et ses longs cheveux de jais. Sans même voir son visage. Elle représentait les souvenirs heureux d’un temps où la vie lui avait été agréable. Les vestiges d’instants où tout était plus simple. Un havre de paix au milieu du chaos. Quelque chose que seuls les amis d’enfance -ou ici d’adolescence- pouvaient offrir. Quand les choses n’étaient pas encore parées de profits, de faveurs et d'extorsion. Il s’approcha, sourire au lèvres, le pli agacé qui ornait son front depuis ce matin là disparaissant peu à peu. Alors qu’elle se levait à son approche, Naveen se réchauffa dans l’étreinte de ses bras. C’était un peu comme rentrer à la maison après une longue absence. Elle lui avait manqué. Ébouriffant ses cheveux par réflexe, il ne put s’empêcher d’ajouter “You thought I was catfishing you?” Relevant le menton il ajouta “Maybe you’re just short, little girl.” Le deuxième câlin fut peut-être encore plus tendre, la surprise des retrouvailles en moins. Et Naveen eut l'impression d’avoir de nouveau seize ans. Avant le groupe. Avant la célébrité, ses vices et ses excès. “They’re not that much into me this last year. A businessman sells less than an out of control teenager as it seems.” Et il avait appris à se faire plus discret lors de ses sorties. Beaucoup plus facile lorsqu’on ne se trimballait pas quatre autres playboys.

S’installant à table, il prit une gorgée du latte. “I really needed that. Tough day at work. So… tell me everything about you.”

La caféine éparpillait sa concentration...des frétillements de nageoires sous son épiderme, des contre-courants dans ses artères. Elle tentait de les remonter - des peines à chaque minuscule avancée, l'eau ramenant sa barque vers les rochers. Des points d'ancrage, d'heurt, le vert des plantes.
L'odeur des tonnerres.
Ses ongles grattaient les pages du livre, un exemplaire tiré au hasard d'un bazar perpétuel dans sa chambre. Peut-être l'avait-elle déjà lu...en fait, elle était persuadée de l'avoir déjà fait. Mais l'anxiété avait guidé ses mouvements, avait brossé ses cheveux, s'emmêlant dans chaque mèche, avait peint ses lèvres de rouge - la couleur des baies. Neela ne pouvait clarifier l'anticipation de l'angoisse, généralement, ils remuaient tous deux la fourmilière qui lui servait d'entrailles. Et ses grands yeux bruns évitaient le contact de la végétation - fuyaient les éclats des fleurs, les danses de leurs pétales, les brins de soleil maculant leur feuillage. Ils se collaient contre le liquide brun de sa tasse, la vitre et les mouvements de la rue.
Le tumulte auditif cognait son calme - des tocs à chaque tympan et neurone...si bien que l'attention de la sorcière n'était qu'un désordre. Elle ouvrit le bouquin, ses iris glissant sur la courbure des mots sans en faire sens, something about the fingers of mummies having healing properties mais le referma aussitôt, soufflant. Alors, les piétons l'appelèrent de nouveau - les têtes se faufilant entre les lianes, certaines semblaient heureuses, la plupart fatiguées - de la buée quittant encore leur gosier. Avril était timide...l'astre doré se remplissait de paresse et trainait ses rayons derrière le confort de nuages ambulants. Les matins se révélaient frais - glissant sur les peaux avec malice et les soirs retrouvaient les morsures hivernales. Mais le printemps réchauffait déjà les neiges et le ciel poussait Helios à rouler jusqu'au zénith.
Parmi la foule, elle cru le reconnaitre - et son coeur ne fit qu'un bond dans sa poitrine. Le visage se détourna, le souffle se fit plus ample (tentative ridicule de calmer les nerfs), les souvenirs revinrent. Ils l'engouffrèrent dans une douce fièvre - des sourires étirant ses lèvres. Don't they say that first love never dies? Cependant, ça n'était pas qu'un émoi adolescent...dans la silhouette du jeune homme, elle retrouvait les traits de son passé. Si elle suivait ses lignes, elle pouvait retrouver les routes de sa jeunesse...la lumière des phares grimpant sur les troncs, formant un halo autour de sa nuit sempiternelle...l'éblouissant assez pour qu'elle ne puisse croiser les teintes argentées de la lune. Et c'était cet affolement qui la poussa dans ses bras - as if they were sixteen, again. As if her hands weren't fit for a criminal. As if her hands were soft, again.
L'avoir ici, le retrouver dans cette contrée étrangère - c'était comme chanter une chanson au milieu d'une foule et d'entendre son écho venir d'un autre gosier. Retrouver un bibelot dans la poche de sa veste préférée. Une vague de nostalgie.
Ses pupilles s'agrandirent, la poitrine se gonflant - son parfum enveloppait sa personne. La cologne avait changé, sharper and more masculine (a grown-up perfume) mais elle déterrait l'effluve des bêtises - celui qui s'incrustait dans ses narines, à l'époque, avant qu'ils ne testent ensemble l'étendu de leur chance. Oh il avait bien gardé ses diableries habituelles - des coups de langue espiègle contre ses dents, des gourmandises acidulées pour phrasés. Il avait gardé son charme.
- “You thought I was catfishing you?”
- "How was I supposed to know?" elle roula des yeux à sa boutade, décrochant une seconde étreinte. C'était égoïste, maladroit, une nécessité - a hit, a little high.
Puis ils s'assirent face à face, et elle ne pouvait décrocher ses yeux du mirage. Le bleu de son costume seyant son hâle, son regard ruisselait le long de sa mâchoire, de son cou, le coin de ses lèvres...évitant avec précision le brun de ses iris. Et quand il lui posa une question, il lui fallut une seconde pour retrouver ses idées. "Sorry," un léger ricanement tinta, "it's just surreal to see you here. Gosh..." elle pinça sa lippe inférieure entre ses dents, ses sourcils se fronçant. "How long has it been? It must be more than a decade now." Une éternité. Tant de choses avaient bougé, des traces du temps se formant sur son visage, des bouts de sa jeunesse se morcelant à chaque minute, des bredouilles pour mémoires. Le son d'un fracas quand elle comprit qu'elle n'avait rien à lui révéler - except that you have in front of you a future murderer. Que toutes les montagnes qu'elle avait essayé de bouger demeuraient immobiles, que tous les films qu'elle avait vu n'avait pas de fin et que les conversations dans les taxis se faisaient avorter par un silence. "Well..." un petit sourire, le regard qui cherche la serveuse, "I fear there's only very few things about me that are worth your interest." Son ongle revint gratter la couverture du livre. "I've graduated, studied in New York..." failed at that because I didn't have any money "And now I'm here! Just...working," elle avala sa salive. "I've figured out that I needed some time before finishing uni," bullshit, mais elle hocha de la tête, "you know, see what life is all about." Or what life could be, si elle se débarrassait enfin de sa malédiction d'une balle entre deux iris bleues. "Very boring," la sorcière se redressa sur son siège, levant une paume vers la serveuse dans l'espoir d'attirer son attention (et de la tirer de cette question terrible), "I know..." la blonde fit un signe du menton, indiquant qu'elle viendrait après avoir pris la commande d'une table, "But what about you? Your life is far more interesting than my own." I've peaked in highschool after all, voulait-elle rajouter dans une plaisanterie candide mais l'amertume de la réalité rattrapa sa langue. Depuis son départ, Neela avait remplacé ses baisers par des clopes, ses étreintes par des accidents contre les pare-brises et les poings, sa présence par le chaos.

Ca faisait tout drôle. De retrouver ainsi une part de l'enfance, d'une insouciance, depuis longtemps oubliée et ce, sous la forme d'un autre être humain. Neela avait l'odeur d'une madeleine de Proust, le toucher d'un passé révolu auquel il aurait tant aimé pouvoir se raccrocher. Une légèreté qui l'avait abandonnée depuis longtemps au profit des plaisirs trompeurs de paradis artificiels et de célébrité factice. Elle était une jeunesse qu'on lui avait arrachée pour le confronter à la lumière criarde des projecteurs. Une enfance volée contre quelques damas empochés par plus vieux que lui. La naïveté piétinée pour le profit, les rêves sacrifiés sur une route brinquebalante. Il n'était plus qu'une réputation. Une descente aux enfers transformée en succes story à la sueur de son front. Nuit d'ivresse transformées en nuits sans sommeil. Alors, cette étreinte avait un peu un goût de revanche. Beaucoup l'avaient abandonné sur le bas-côté mais Neela, elle, semblait se souvenir de l'adolescent qu'il avait été. La meilleure version de lui-même, peut-être. C'était merveilleux et irréel. Un petit bout d'Amérique -de Salem- en terre étrangère. Une ambassade en quelque sorte. L'étreinte du bien cesser. On les regardait bien assez comme ça et Naveen ne tenait pas particulièrement à ce que qu'il soit reconnu. Cela arrivait de moins en moins souvent et il jouissait d'une certaine tranquillité depuis son arrivée sur l'archipel. Il n'était ici qu'un homme d'affaires comme un autre et cela lui faisait du bien.

Neela semblait chercher à éviter son regard et, son esprit de contradiction le poussa à essayer de capturer le sien. Elle semblait être là et en même temps très loin. Peut être n'avait-elle pas vraiment eu envie de le revoir. Cela faisait des années après tout. "Yeah… Feels like a lifetime. Hell… even feels like two. Highschool, the band and adulthood." Certaines choses dont il pouvait être fier, d'autres qu'il aurait voulu effacer. Il l'écouta patiemment parler de sa vie. Des études, du travail et des interrogations. Sans doute en aurait-il aussi été là s'il avait fait d'autres choix. Difficile de prédire où l'auraient mené ses pas s'il avait pris un autre chemin. "Boring can be good sometimes" Lui même ne dirait pas non à un peu d'ennui dans sa vie qui semblait en permanence tourner à cent à l'heure. Il ne se rappelait pas la dernière fois qu'il s'était posé ainsi à un café, téléphone coupé, à l'abri de l'industrie. C'était à présent son tour de faire un rapide tour de sa vie. "Well… After I left the band" got kicked out "I took a little time to center myself" went to rehab "And after that I wrote a few songs for some friends I managed to keep in the industry. With a pen name at first then my own. Used the money I got left to build my label and my contacts for free advertising and well… worked hard and things turned around quite good. Signed a few artists that I'm real proud of." powerhouses. "And I moved everything here this year. Wanna start auditioning for a band" And learning if i'm a ronin or whatever. "Nothing real fancy either" Une gorgée de café pour ne pas avoir à aller plus loin. Il était temps de s'aventurer sur un terrain moins glissant. "I've been quite busy since I got here and I live above my office so… haven't seen a lot of the island. I bet you know everything there is to know around here." Elle lui avait toujours donné l'impression de tout connaître des environs lorsqu'ils étaient adolescents. Un véritable guide ambulant.