snowstorm ☼ michael

Si l'on se demandait d'où l'hiver venait, la réponse était sans appel : de cet étage, dans cet immeuble, perdu sur cet archipel. Canalisations gelées. Mur si froid qu'on en risquait l'engelure. Même le souffle, parfois, se révélait. Atmosphère glacé, vicié par une magie incontrôlée. Et au milieu de tout ça, Ujinori, lui, ne comprenait pas. Car les affres du temps ne l'affectaient pas. Indifférence absolue face à la morsure du froid. Des mois, que les problèmes s'accumulaient, sans qu'il n'y voit une cause commune. Un fautif, un responsable derrière la dégradation des locaux. Si évidente, pour les autres habitants. Mais ce n'est qu'entre les bras de son aimé que le petit prince découvrait, pour la toute première fois, ce problème. Il avait froid. Passé l'inévitable froncement de sourcils, marque de son incompréhension, le jeune homme s'était activé pour faire de son cocon leur cocon. Il s'était pourtant déjà embêté à allumer le chauffage, en prévision de sa venue. Mais ce n'était pas suffisant ?  Bizarre. 15 degrés, au thermostat. Normal, non ? Cela faisait des mois, que c'était comme ça. Face à la consternation de son soupirant, à la découverte de la température ambiante, Ujinori sut, pour sûr, que quelque chose n'allait pas.

Babylone l'avait guidé. Comme un jeu, de chaud froid. Constat évident, après quelques minutes : le froid venait d'un mur. Un mur intérieur, qu'il partageait avec l'un de ses voisins. Michael. Mike. Un étranger, tout compte fait. Il était de ces gens, qu'on saluait dans le couloir, sans prendre le temps de discuter. Non pas qu'il n'était pas intéressant. Son voisin avait l'air vraiment, vraiment, intéressant. Trop introverti, dans son refuge, pour tout offrir à un parfait inconnu. Le glas de la tranquillité venait de sonner. On le sommait de le rencontrer. De mettre au clair cette sombre affaire : Baby avait froid. Le soleil avait froid. Et ça, ce n'était pas possible. La nuit venait tout juste de tomber, quand il se présentait enfin devant sa porte d'entrée. Un long soupir s'échappa d'entre ses lèvres. Ujinori n'était pas sûr de sur quoi il allait tomber. Quelqu'un de sympathique, réceptif ? Probablement et pourtant... Les querelles de voisinage faisaient ressortir le pire chez les gens. Une nuisance, vraiment. Mais s'il le fallait, le petit prince l'écraserait entre ses mains. S'il était la cause, de tous ces malheurs, évidemment. Et qu'il refusait, surtout, d'y remédier. Plus qu'à sonner, une seule fois. Le doigt restant appuyé, longtemps, pour annoncer son arrivée.

Un instant. Deux. Puis celui de trop. Déjà les sourcils du plus jeune se fronçaient. Aucune envie d'être là. De rentrer dans une situation conflictuelle. Possiblement conflictuelle. Mais vu la tête qu'il tirait, cela ne présageait rien de bon. Le petit prince était autrement patient, mais ce soir. Pas quand le bien-être de son aimé rentrait dans l'équation. Et enfin, dans un grand éclat, comme si un mur de glace s'effondrait, la porte s'ouvrait. La silhouette de son voisin s''affichait fièrement devant lui. Ujinori laissa son regard s'attarder sur ses contours. Une tenue intéressante. La savane, mais au pôle nord. Invraisemblable. Un autre jour, le jeune homme se serait moqué. N'aurait pu s'empêcher de ricaner. Dommage. Ou tant mieux, peut-être. L'inimité se ressentait déjà. Il était préférable de ne pas insister. - Salut mec. Ton monocorde. Une manière d'établir une certaine distance entre lui et ses interlocuteurs. Il n'avait pas le temps pour des babillages inutiles. - Ça caille violent, pourquoi t'es habillé comme ça toi même ? Et s'il faisait fausse route ? Comment Michael pouvait-il soutenir la morsure de l'hiver dans un tel accoutrement ? Un lointain frangin, arraché par ses bourreaux ? Peu probable. Il n'y avait que lui, Ujinori, pour supporter un tel froid.

Silence. Juste le temps d'un battement. Dans tout ça, le jeune homme n'avait même pas énoncé pourquoi il était là. Pourquoi il osait ainsi le déranger. Le réveiller. Un long soupir s'échappa d'entre ses lèvres. Plus possible de faire marche arrière. Il fallait le confronter, frontalement. Peu importe les conséquences. - Ça fait plusieurs fois que notre mur communiquant est glacé. J'ai beau mettre le chauffage, tisser des sorts, rien n'y fait : il fait tout le temps froid, chez moi. Résumé rapide du calvaire de son petit-ami. Ujinori, lui, ne ressentait rien. N'avait jamais rien vu, pendant toutes ces années. Indifférents, aux affres du temps. Babylone était le premier, à venir régulièrement chez lui. Il était le premier, à dénoter ce froid anormal. Tout pour son soleil, qui pâmait face aux assauts de l'hiver. Pas de son hiver à lui. Et ça, c'était un problème. - Tu sais ce qu'il se passe  ? Ça vient de chez toi, non ? J'ai envie de dire non vu que tu es à poil là, mais je suis quasi sûr que c'est de ton côté que la nuisance apparaît. Une idée ? Le petit prince plantait son regard contre les délicats iris de son interlocuteur. L'intimant, par sa présence aussi, de lui répondre.

Rien n'était bête. Mais il accordait visiblement plus d'importance à sa fierté qu'à la logique. Soit. S'il ne comprenait pas le ridicule de la situation, tant pis pour lui. Ujinori ne cilla pas, refusant de réagir. C'était sans importance. Michael pouvait bien se les cailler chez lui, se balader en string puis pleurnicher face à la morsure de l'hiver. Son inconstance, c'était son problème. Le froid, par contre, impliquait l'ensemble de la résidence. Le petit prince ne ressentait rien, car il ne le pouvait tout simplement pas. Babylone était venu faire office de thermomètre. Résultat, ça n'allait vraiment pas. Beaucoup trop froid. Aux portes de l'illégalité, même. Et dans tout ça, les excuses de son interlocuteur ne lui convenaient pas. Quand il faisait plus froid à l'intérieur que dehors, on ne pouvait que se poser des questions. Les bonnes questions. Magie ? Probablement, oui. Quelle autre possibilité ? Le jeune homme ne voyait que ça. Et ça ne venait, clairement, pas de chez lui. Mike était tout désigné pour être le coupable, mais vu son état cela ne pouvait pas être volontaire. Vraiment bizarre. - Je vois ça, que tu te les cailles. C'est pas normal, frérot. Ton proprio a dit quoi ?

Si Ujinori semblait désagréable, il essayait pourtant d'être le plus cordial possible. Compliqué, de collaborer avec d'autres personnes. Il ne s'ouvrait qu'à ses aimés, et ses rares amis. Michael n'en faisait pas parti. En ferait peut-être parti, un jour. - Je veux bien rentrer, oui. Merci. Et sans crier garde, il poussait légèrement son désormais hôte pour rentrer dans son antre. Un long soupir s'échappa d'entre ses lèvres. Une brume glacée, aussi. C'était encore pire que chez lui. Le masque s'effrita, juste un instant : ses sourcils se fronçaient délicieusement. Comme agacé, et consterné, par la situation. - L'endroit le plus froid sera sans doute le point de départ de ce désagrément. Plus on s'éloignait de l'épicentre de la catastrophe, moins le froid se ressentait. Cela semblait logique. Et si à l'entrée, et autour du bâtiment, il faisait meilleur que chez eux... Alors ça venait de chez eux. Ou pas loin, tout du moins. Profonde inspiration. Le temps semblait se figer, juste un instant. Juste le temps d'amener la poussière à lui, et de tisser ensuite un sortilège. De quoi détecter les températures. Le résultat était sans appel. Le point culminant du blizzard était ici, dans cette pièce. C'était de sa faute. - Et cet endroit, c'est juste là. Michael. Tu en as conscience ?

Ujinori était sans gêne. Faisait irruption dans le quotidien de son voisin. Pire que ça, osait entrer chez lui, comme si tout l'immeuble lui appartenait. Le petit prince était agacé. Agacé de devoir régler un problème en somme futile. Mais face à l'inconfort de son aimé, il était prêt à n'importe quoi. Qu'importe, que Michael lui en tienne rigueur. C'était sans importance. Il ne le connaissait pas. Pas vraiment. Alors cet étranger pouvait bien le détester. Le maudire. Dans tout ça, le résultat était sans appel : le froid venait bien d'ici, entre ces quatre murs étroits. Le jeune homme écoutait d'une oreille distraite la complainte de son interlocuteur. Que son propriétaire soit une sale con ou non ne changeait rien. Il se contentait de hausser les épaules, pour montrer son indifférence face à la situation. À chacun sa merde. La misère ne lui était pas étrangère, et s'occuper de la sienne lui suffisait amplement. Le petit prince continuait d'analyser la scène, froidement. Tout semblait gelé, ici. Des vitres jusqu'au plancher. Ce n'était pas normal. Mais sans connaître la source précise de cette anomalie, Ujinori ne pouvait rien faire. Rien d'autre que soupirer face à cette fatalité. Que faire, maintenant ? S'en aller ? Pas de chance, Michael ne semblait plus vouloir le quitter.

Car si la réponse lui avait manqué, jusque là, elle était devenue évidente en l'espace d'un instant. Le petit prince ne conceptualisait pas, ce qu'était le froid. Le vrai froid. Mais face au gel qui s'intensifiait, et le vase qui éclatait, il pouvait tirer une seule conclusion : Michael était le coupable. Lui et ses pouvoirs. Son sortilège venait le confirmer, même si ce n'était pas, plus, nécessaire. Réalisation immédiate que son interlocuteur était comme lui : un ronin. Douce ironie que leurs malédictions se ressemblent autant. Comme deux sœurs. Des années auparavant, Ujinori aurait tôt fait de la dénoncer. Plus maintenant. Tout était différent. Il ne ressentait que de la peine, pour ce jeune homme visiblement mal préparé à confronter sa différence. Incapable de s'en cacher, aussi. Et là était le problème : si Michael ne parvenait pas à se contrôler, il risquait d’entraîner dans sa chute son voisin. Calme toi. Simple ordre. Méchant, de prime abord. Quand pourtant, Ujinori ne pensait désormais plus qu'à sa santé, mentale et physique. Calme toi, Michael. Tu te mets en danger, à ainsi perdre tout contrôle sur ta faculté. Le petit prince soutenait son regard, sans détour. Sans que la moindre peur ne puisse se lire dans ses iris sombres. Il n'était pas impressionné. Il était habitué, tout simplement. Et machinalement, sa main venait se perdre entre les boucles de son interlocuteur. Lui tapotait la tête, piètre manière pour lui signifier son soutien. Il le réconfortait, à sa manière. Quand bien même le froid se faisait de plus en plus intense, Ujinori ne cillait pas. Le signe de ses propres pouvoirs. L'indifférence face aux températures extrêmes. Est-ce que Michael s'en rendrait même compte ?